Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux entendit prononcer son nom et vint naïvement se présenter lui-même à Émile Gois, malgré les signes désespérés que lui faisait François, qui eût voulu le sauver. Le brigadier Ramain fat chargé d’aller chercher les prêtres ; le sous-brigadier Picon reçut ordre de faire descendre les gendarmes et les sergens de ville. Les premiers étaient enfermés dans le bâtiment de l’ouest, à la quatrième section, d’où Mgr Darboy était parti pour la mort ; les seconds étaient détenus au bâtiment de l’est, dans la première section.

Les otages de la quatrième section étaient inquiets, mais préparés. Deux faits caractéristiques feront comprendre la qualité supérieure de l’âme de ceux qui s’attendaient à mourir. Parmi les détenus amenés de Mazas dans la soirée du 22 mai se trouvait un jeune homme de vingt-six ans, frêle, délicat, angélique, disaient ses compagnons de captivité, qui était élève du grand séminaire de Saint-Sulpice et s’appelait Paul Seigneret. C’était un être d’une candeur et d’une foi extraordinaires ; il n’avait pas fallu moins que l’autorité de ses maîtres pour l’empêcher de s’engager pendant la guerre et de faire le dur métier de soldat, auquel sa santé très débile le rendait absolument impropre. Sa faiblesse même augmentait son ardeur et lui donnait une sorte de douce exaltation qui rêvait les sacrifices les plus douloureux pour satisfaire aux besoins de ses croyances. Il y avait en lui du missionnaire et de l’apôtre ; il était de ceux qui meurent volontiers et simplement pour confesser leur Dieu. Entraîné par sa foi militante, il avait, dans la prison, recherché la société d’un prêtre des Missions étrangères, M. Perny, qui arrivait des rives du Fleuve-Jaune pour tomber au milieu des persécutions de la commune. Paul Seigneret ramenait toujours la conversation sur le même sujet et disait : « Voyons, mon père, parlez-moi un peu de vos jeunes martyrs de Chine. » En souriant, le missionnaire lui répondit un jour : « Gourmand ! cela vous fait venir l’eau à la bouche, n’est-ce pas ? » Le pauvre Paul Seigneret n’eut point à aller jusque dans l’Empire du Milieu pour s’offrir en holocauste ; les mandarins de la commune lui réservaient le martyre.

M. Chevriaux, proviseur du lycée de Vanves, était, à la Grande-Roquette, voisin de cellule de M. Guérin, prêtre des Missions étrangères, qui avait quitté son costume ecclésiastique. M. Chevriaux, en causant avec lui dans le couloir ou dans le chemin de ronde, ne lui avait pas caché qu’il était marié, qu’il avait un enfant, et que, dans de telles conditions, la mort lui paraissait bien dure. Pendant la nuit qui suivit l’assassinat de l’archevêque, M. Guérin appela M. Chevriaux, avec lequel il pouvait causer grâce à la disposition des fenêtres, et lui dit ; « Ici nul ne nous connaît ; comme vous, je suis vêtu en laïque ; on ne vérifie pas l’identité ; lorsqu’on vous appellera, laissez-moi répondre à votre place. Ma vie est vouée au