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vais aller au greffe surveiller les menées de toute cette séquelle et je reviendrai vous avertir ; je monterai par l’escalier de secours ; placez-y deux sentinelles et assommez tout individu qui ne vous dira pas le mot de ralliement ; ce mot de passe sera : Marseille ! » Les détenus l’acclamèrent et voulurent le retenir parmi eux. Il leur fit comprendre qu’il leur serait plus utile en leur apportant des renseignemens précis ; on le laissa partir et l’on se mit à l’œuvre.

Pendant ce temps, Pinet, refermant derrière lui la grille de la troisième section, criait : « Barricadez-vous ! barricadez-vous ! » Les otages ont-ils commencé à se barricader sur l’injonction de Pinet ; avaient-ils commencé à se barricader avant l’arrivée de celui-ci ? C’est là une question à laquelle il nous est impossible de répondre, les deux versions ont été énergiquement soutenues ; il y a autant de probabilités en faveur de l’une qu’en faveur de l’autre, et le fait en lui-même est trop peu important pour que nous ayons essayé de le dégager des obscurités dont on l’a enveloppé ; mais on peut assurer, en toute sécurité, que sans l’intervention directe et très courageuse de Pinet, escorté de Bourguignon, le sort des otages était singulièrement compromis. La présence d’un surveillant au milieu d’eux, la vigilance d’un autre qui venait les soutenir de ses avertissemens, leur apportaient une force morale qu’ils auraient vainement cherchée entre eux, et que leurs infortunés compagnons fusillés le 24 mai, massacrés le 26, n’avaient point rencontrée. Bourguignon et Pinet représentaient en quelque sorte la prison, qui, elle-même, s’insurgeait pour défendre et sauver ses propres détenus. Quelqu’énergie qu’aient déployée les otages, quelque effort qu’ils aient fait pour assurer leur salut, ils n’auraient peut-être jamais échappé sains et saufs à leur captivité, si ces deux braves gens ne s’étaient sacrifiés avec eux et pour eux[1] !

Très rapidement la résistance fut organisée ; derrière la grille fermée à l’extrémité de chacune des sections, on entassa tous les matelas et toutes les paillasses que l’on put trouver dans les cellules et dans le lit de camp. Depuis le plancher jusqu’au plafond, depuis le mur de gauche jusqu’au mur de droite, l’ouverture fut absolument bouchée : nul jour, nul interstice ; on pouvait bien glisser un canon de fusil entre les matelas, mais le projectile se serait perdu dans les matelas eux-mêmes. On décarrela la chambrée, on rassembla les carreaux en tas à portée des barricades, afin de pouvoir lapider les assaillans si par hasard ils parvenaient,

  1. Tout le monde a eu entre les mains les récits de M. Amodru, de M. Lamazon, etc. ; je n’ai donc pas à les citer.