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de Melodunum (Melun), où il captura un grand nombre de bateaux de rivière, ce qui lui permit de passer sur la rive droite et de reprendre la route de Lutèce. Camulogène, de son côté, quitta les borda de l’Orge, fit mettre le feu aux maisons de Lutèce et attendit l’ennemi sur la rive gauche, occupant les pentes de la montagne Sainte-Geneviève et les abords de ce qui s’appelle aujourd’hui la place Maubert. Les Romains durent lancer leurs avant-postes jusqu’aux approches de l’emplacement actuel du Pont-Neuf et dans un bois hanté par les loups qui devait un jour léguer son nom au Louvre.

C’est dans cette attitude d’observation mutuelle que les nouvelles de ce qui se passait en Auvergne parvinrent aux deux armées en présence. César avait dû lever le siège de Gergovie. Les Éduens avaient abandonné la cause romaine. Labienus, en vrai soldat, comprit qu’il n’avait qu’une chose à faire, renoncer à Lutèce, à la nouvelle conquête du nord, et rallier au plus tôt son général ; mais pour cela il lui fallait repasser la Seine, opération à laquelle évidemment Camulogène s’opposerait avec la dernière énergie. Il s’avisa d’un stratagème qui lui réussit.

Faisant remonter le fleuve par quelques bateaux qui menaient grand bruit, il donna lieu à Camulogène de croire qu’il allait tenter le passage de la Seine au-dessus de Lutèce, vers Alfort, tandis qu’en réalité il comptait la traverser à gué près du Bas-Meudon, à un endroit où la Seine, il y a quarante ans à peine, avant les travaux de draguage qui ont creusé son lit, était encore guéable en été. Il fit donc filer ses trois légions pendant la nuit le long de la rive droite par les lieux qui s’appellent aujourd’hui la place du Louvre, le jardin des Tuileries, la place de la Concorde, Auteuil, le Point-du Jour. A l’aurore, maîtres du gué, les Romains occupaient la plaine de Grenelle, et Camulogène, qui avait envoyé le gros de ses forces vers l’endroit du passage simulé, n’avait que très peu de monde à leur opposer. Le petit corps gaulois qui se trouvait en face du passage réel se battit avec acharnement, mais il fut écrasé. Espérant que les Gaulois qui remontaient la Seine reviendraient bientôt sur leurs pas, Camulogène soutint le combat jusqu’au dernier moment. Le vieux brenn tomba les armes à la main. Les renforts attendus n’arrivèrent que les uns après les autres et furent détruits successivement. Une troupe de Bellovakes accourait derrière eux. Il était trop tard. La panique s’empara de cette armée la veille encore si ardente, si confiante, elle se débanda et s’enfuit de tous côtés, traquée par la cavalerie romaine. Du reste Labienus ne perdit pas son temps à la poursuivre. Il rejoignit en hâte Agedincum pour aller de là à la rencontre de César. Il n’avait pu s’établir dans Lutèce, mais cela ne compensait pas pour la cause gauloise la défaite