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des Romains et cherchant, quand il en était encore temps, à se mettre à la tête du mouvement patriotique pour le faire servir à ses fins égoïstes. L’oligarchie éduenne n’avait abdiqué en rien ses prétentions à la suprématie que César avait si habilement caressées pendant ses premières campagnes dans les Gaules. Les Éduens continuaient à se dire imperio nati, nés pour commander, et se plaignaient amèrement du rôle subordonné qui leur était dévolu. C’est chez eux surtout qu’on avait vu se former cette espèce de ligue des nobles qui cherchait dans les mariages et les alliances d’intérêt à étendre un réseau d’influences solidaires qui eût, en se propageant, asservi la Gaule a un petit nombre de grandes familles[1]. Il n’y a rien que de conforme à ce qui s’est toujours passé en France, dans des circonstances analogues, dans ce fait que l’assemblée générale des représentans de la Gaule se montra sourde à ces compétitions de l’orgueil local et de l’esprit de famille. D’une voix unanime, elle continua les pouvoirs de Vercingétorix.

Les deux principaux chefs éduens, Époredirix et Virdumar, se soumirent en apparence à la volonté nationale, mais ils ne cessèrent d’intriguer en dessous pour contrecarrer les plans de Vercingétorix. Déjà même, ayant appris la victoire de Labienus et sa jonction avec César, ils préparaient sous main, par d’indignes messages, leur rentrée en grâce auprès du proconsul. C’est ce qui explique, M. Mounier l’a parfaitement démontré, les contradictions que l’on pourrait relever dans la conduite ultérieure de Vercingétorix. Ignorant ou méprisant ces menées ténébreuses, le brenn ne s’occupa que de se mettre en mesure de recommencer la lutte. Il renforce sa cavalerie, qu’il pousse au chiffre de 15,000 chevaux, il envoie le contingent éduen inquiéter les frontières des Allobroges (Savoie), soumis aux Romains et faisant partie de la Province, tandis qu’il sollicite par des missions secrètes leur patriotisme et qu’il dirige les Gabales (Gévaudan) et une partie des Arvernes sur le canton des Helviens (Vivarais), les Ruthènes (Rhodez) et les Cadurques (Quercy) sur la frontière occidentale de la Province[2]. Il forçait donc pour la seconde fois César à se retirer du nord pour venir au secours de la Province envahie. Lui-même se réservait de

  1. Ainsi nous savons par César que le chef éduen Dubnorix, le frère de ce druide Divitiac, connu dès l’origine comme un chaud partisan des Romains, s’était intimement lié avec Castic, chef des Séquanes de Vesuntio (Besançon). Il avait épousé la fille d’Orgétorix, l’ambitieux Helvète qui avait poussé son canton à émigrer en masse, et il avait fait épouser sa mère au chef des Bituriges. C’était donc dans toute la force du terme une famille gouvernante. »
  2. Quand on voit plus tard l’oppide d’Alise abondamment muni de vivres, d’armes, d’engins de toute espèce, on peut en conclure qu’il avait fait de cette position, très forte par elle-même, son principal dépôt, mais non pas dans l’idée de s’y renfermer en cas de défaite.