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En un temps où le jugement par jury avait disparu, où il n’existait pas de code pénal ayant introduit les circonstances atténuantes, c’était le juge seul qui appréciait la plus ou moins grande culpabilité du prévenu. Disposant en quelque sorte de la peine, il la pouvait graduer suivant les circonstances qui modifiaient la culpabilité de l’acte, circonstances de lieu, de temps, de qualité, de quantité, d’intention et, comme on disait, d’accoutumance. C’est ce que note, dans sa Somme rurale, Boutillier. Le célèbre jurisconsulte part d’ailleurs de ce principe empreint d’humanité, mais auquel furent loin de se conformer tous les tribunaux sous l’ancien régime, à savoir : « Combien que tousjours doit la peine estre entendue en la moins aspre partie par le juge, car, selon le sage, justice sans miséricorde est trop dure chose, et miséricorde sans justice est trop lasche chose. » Dans la pratique, surtout au siècle dernier, on se relâcha souvent de la sévérité excessive qui avait été apportée à la répression de certains crimes et de certains délits ; on le put à l’aide de l’arbitraire de la peine, sans violer la légalité. On se conforma aux progrès de l’opinion qui enlevait une partie de leur caractère criminel à des actes auparavant châtiés avec une extrême rigueur. Tel fut le cas pour les attentats de lèse-majesté au second chef, pour les crimes de magie et de sorcellerie dont la raison faisait enfin comprendre l’inanité. Mais la puissance de la tradition, qui imposait le maintien d’une pénalité cruelle et outrée, devait toujours faire redouter au prévenu de comparaître devant le tribunal, aussi espérait-il plus dans l’impunité que favorisait l’opinion que dans la clémence des juges. Il arrivait alors ce qu’il advient sous un régime douanier excessif, quand les prohibitions sont très multipliées et les droits d’entrée exorbitans : la fraude se fait sur une grande échelle ; on n’est pas retenu par la crainte d’être pris comme contrebandier, parce que les profits de la fraude sont considérables. Lorsqu’une pénalité rigoureuse frappait une foule de manifestations, aujourd’hui permises, de la pensée et de l’activité humaine, l’homme trouvait dans la complicité de l’opinion des profits de tout genre à braver la justice, et il se faisait moins scrupule d’en enfreindre les défenses qu’il ne l’eût fait, si celle-ci se fût bornée à punir un petit nombre d’actes dont chacun peut s’abstenir sans réduire beaucoup sa liberté.


IV

On vient de voir sur quels principes reposait la pénalité sous l’ancien régime. Examinons maintenant les châtimens en eux-mêmes et le degré de cruauté et de raffinement qu’on y avait apporté. L’arbitraire laissé au tribunal permettait, comme il a été