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lois qui garantissent les bonnes mœurs que le noble, l’homme de qualité, le seigneur, forts de leur crédit et de leur naissance, réussissaient à éviter les poursuites de la justice auxquelles l’homme de rien échappait plus difficilement. Dans la licence qui régnait à la cour au XVIe siècle, dans la corruption qui marqua la régence et le règne de Louis XV, si la justice se fût montrée quelque peu rigoureuse, bien des courtisans, voire même de grands personnages, auraient, pour de tels attentats, passé par ses mains. La bulle de Sixte-Quint, qui édictait dans tous les états de l’église la peine de mort contre la femme convaincue d’avoir partagé ses faveurs entre le père et le fils, lors même qu’elle eût été reçue en France, n’aurait guère effrayé dans la cour de Saint-Germain-en-Lave les imitatrices de Diane de Poitiers. La peine du feu que réclame déjà Beaumanoir, tout à la fois contre le vice de Sodome et contre l’hérésie, inquiéta peu les mignons d’Henri III, et sous la régence on ne craignait pas de faire des gorges chaudes à la cour sur l’aventure de jeunes gens de la plus haute naissance qui s’étaient moins cachés de ce vice que les favoris du dernier des Valois. Tandis qu’encore trente ans plus tard on brûlait en Grève un menuisier et un charcutier surpris ensemble, on se contentait d’envoyer en exil ou de faire mettre à la Bastille ces arracheurs de palissades, comme on les appelait par allusion à la naïve crédulité du jeune roi, auquel on avait au moins la pudeur de cacher de telles infamies[1].

Les peines destinées à protéger la morale publique étaient comme celles qui étaient instituées pour défendre la religion, elles avaient perdu leur efficacité par l’excès même de leur sévérité ; elles finissaient par être inappliquées là où nul ne se sentait assez innocent, assez irréprochable pour avoir le droit de se montrer rigoureux. On se bornait à frapper de temps à autre quelque obscur vaurien, quelque maladroit qui avait affiché trop publiquement son libertinage, et, tandis qu’on se jouait en haut lieu de la morale et de la religion, la justice continuait de sévir contre les impies de bas étage et les effrontés de mauvais lieux. En certains cas cependant, le parlement exigeait un exemple quand le scandale avait été par trop grand, mais on avait soin de ne pas s’en prendre à de bien puissans. Ce relâchement dans la sévérité du châtiment ne se produisait pas quand il s’agissait de réprimer des attentats qui mettaient en péril la sécurité, la vie et la bourse des citoyens. Loin de là, on

  1. Citons ici la réflexion de Barbier, elle est caractéristique, « Comme ces deux ouvriers, (il s’agit du menuisier et du charcutier) n’avaient point de relations avec des personnes de distinction, soit de la cour, soit de la ville, et qu’ils n’ont apparemment déclara personne, cet exemple s’est fait sans aucune conséquence pour les suites. »