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endurât les plus cruelles douleurs. « La cour, continue la relation, louant l’affection d’une princesse pénétrée de douleur, accorda cette proposition au zèle et à la ferveur de sa majesté. » Ainsi on en revenait à la barbarie des plus barbares des Asiatiques, à cet affreux supplice de l’écorchement pratiqué conjointement avec le pal par les anciens Assyriens, comme les bas-reliefs en font foi, et qui de Babylone et de Ninive avait passé en Perse. Il y avait eu déjà de ces retours à la férocité des temps antiques. En 1314, Philippe le Bel avait fait écorcher vifs les amans de ses belles-filles ; mais on eut la prudence de s’en tenir pour Ravaillac à l’éloge du zèle témoigné pour le châtiment du coupable, et l’écorchement n’eut pas lieu. Les zélés eurent encore de quoi se satisfaire. L’écartèlement du régicide fut précédé du tenaillement et de l’injection sur le corps du patient de plomb fondu, de poix et d’huile bouillante. Au siècle suivant, on avait accompli de nouveaux progrès en fait d’atrocité pour la punition du crime de lèse-majesté au premier chef, et le supplice de Damiens ne le céda guère en raffinement de cruauté à celui de Gérard Balthazar. On en trouve l’épouvantable récit dans un imprimé qui parut en 1757 in-quarto sous le titre de Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens, tant à la prévôté de l’hôtel qu’en la cour du parlement. On est révolté du sang-froid avec lequel le rédacteur de cet écrit mentionne les cris déchirans, les hurlemens que poussait le malheureux à chaque nouvelle torture qui lui était infligée. On avait pour son supplice combiné les tourmens imaginés pour Pierre Barrière et Ravaillac ; l’exécution dura une grande heure et finit par l’écartèlement.

La rancune du parlement, la haine contre l’association dont le criminel semblait être l’instrument, contribuaient pour beaucoup à cette recrudescence de rigueur qui n’apparut alors que comme une soif de vengeance. On s’imaginait frapper de terreur des adversaires détestés et les empêcher ainsi de trouver de nouveaux séides ; on n’arrivait qu’à rendre les mœurs plus féroces. Ces supplices publics habituaient à la vue du sang et à l’indifférence pour les souffrances de la créature. On supposa longtemps que des exécutions dans une place où elles pouvaient être aperçues de tous les passans avaient un puissant effet d’exemple. L’expérience a montré qu’on se trompait. Le public va chercher dans cet affreux spectacle des émotions, non l’horreur du crime si cruellement expié, et si l’âme de quelqu’un des assistans est touchée par la pitié, il plaint alors le coupable au lieu de prendre parti pour la justice. Plus l’ancien régime multipliait les exécutions sanglantes, plus il démoralisait la population. Les Parisiens allaient à la place de Grève, comme ils allaient à la comédie. On y payait les places fort cher ; on y battait des mains à l’arrivée des condamnés. « Le peuple s’est