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menacer le malfaiteur de peines plus sévères ; mais, ainsi que je l’ai déjà noté, l’action était égale à la réaction, la barbarie des peines entretenait à son tour celle des mœurs. D’ailleurs, à côté du devoir qu’il y avait pour le législateur de protéger la personne et les biens de chacun, régnait sous l’ancien régime la préoccupation trop exclusive de fortifier les droits de l’autorité ; on y sacrifiait ceux de l’individu, et voilà comment la pénalité devint plus rigoureuse et souvent cruelle en dépit du progrès des mœurs, quand le pouvoir politique, soit monarchique, soit aristocratique, devint plus absolu. On estimait alors que le souverain devait se montrer aussi inexorable, aussi courroucé, en présence de toute infraction à ses lois, que l’était dans la croyance du temps la Divinité envers l’impie. Cette fécondité d’imagination, qui avait fait inventer tant de supplices épouvantables et d’abominables tortures, on la retrouve chez les anciens théologiens et chez les légendaires, quand il s’agit des tourmens des damnés. Dante, dans son Enfer, n’a fait que donner la forme de sa magnifique et vigoureuse poésie aux idées de son époque, qui furent celles de tout le moyen âge. Aujourd’hui le même adoucissement, qui a effacé les rigueurs de la vieille législation pénale, a pénétré dans les opinions sur l’autre vie. On espère bien plus dans la miséricorde de Dieu qu’on ne craint sa colère ; au moment de mourir, on va plutôt chercher des consolations dans la pensée d’une vie meilleure qu’un sujet d’effroi et de trouble dans les supplices de l’enfer. Les hommes ne sont plus, de notre temps, poursuivis par la peur incessante des tourmens que les démons infligent aux damnés, et dont les images décoraient jadis nos églises. Les enseignemens pleins de mansuétude et de compassion de l’Évangile ont plus d’efficacité pour conduire les âmes au bien que ces terribles menaces de damnation dont retentissait jadis la chaire chrétienne. Là encore nous avons la preuve que ce sont bien plus les mœurs que les peines qui retiennent le coupable. Quand les apôtres de la foi s’adressaient à des populations grossières et ignorantes, qui seraient restées sourdes à un appel à ces sentimens exquis de charité et de miséricorde que le christianisme a fait naître, ils n’avaient guère pour leur inspirer l’aversion du mal que la peinture des supplices de l’enfer et la figure hideuse des démons ; mais, à mesure que des sentimens plus nobles et plus purs entrèrent dans les cœurs, ces horribles images servirent de moins en moins à ramener le pécheur dans la droite voie, et l’espérance en Dieu fortifia plus les âmes que ne les retenait la crainte de la vengeance céleste.


ALFRED MAURY.