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une espèce de fer à cheval dont les deux extrémités se reliaient en ligne droite sur une longueur de trois lieues et demie. La largeur de chaque fossé jumeau était d’environ 5 mètres. « Les tronçons que nous avons vus, dit M. F. Mounier, forment un angle si parfait, que le fil de l’arpenteur aujourd’hui ne pourrait rien produire de plus exact. » Les vides se sont comblés depuis ; mais les fouilles ont permis de revoir les lignes de démarcation parfaitement distinctes. Ce grand ouvrage fut flanqué de vingt-trois redoutes en bois. Vercingétorix tâcha d’interrompre les travaux en jetant sa cavalerie sur les légionnaires. Ce fut encore un combat malheureux où pour la seconde fois les cavaliers germains, appelés à la rescousse, tirèrent les soldats romains d’un grand embarras. Les Gaulois reprirent en désordre le chemin de l’oppide, poursuivis par les Romains et les Germains, qui franchirent à leur suite le mur de pierres sèches et se crurent au moment de pénétrer derrière les fuyards dans la ville elle-même ; mais Vercingétorix fit fermer les portes et par là força les siens à faire volte-face. Une lutte acharnée s’engagea de nouveau ; le soir vint, Romains et Germains durent se retirer ; mais la terrible ligne d’investissement continuait de s’allonger. Bientôt le blocus allait devenir hermétique, et la place était incapable de nourrir longtemps ses défenseurs. La cavalerie surtout était à la veille de manquer d’eau et de fourrage.

Vercingétorix alors, de concert avec les autres chefs, imagina un nouveau plan d’une grandeur saisissante et qui montre combien l’idée nationale était déjà vivace. Il résolut de renvoyer sa cavalerie, de la disperser sur toute la terre gauloise, mais avec la mission de provoquer la levée en masse de tous les hommes en état de porter les armes. Lui-même resterait avec ses troupes de pied dans l’oppide assiégé et tiendrait ferme jusqu’à l’arrivée de l’armée de secours. On lui a reproché d’avoir pris ce parti. Il eût mieux valu en effet qu’il sortît lui-même pour organiser et diriger cette levée en masse ; mais, en l’absence de tout renseignement positif, on peut supposer sans témérité qu’il en était à ce point où un chef, ayant assumé une responsabilité comme la sienne, n’est plus libre de prendre le parti en soi le plus avantageux et doit sacrifier beaucoup à l’opinion. Les revers subis par la cause nationale, lors même qu’en bonne justice on ne pouvait les lui attribuer, avaient nécessairement donné du crédit aux accusations dont il était l’objet de la part de ses envieux. Laisser ses soldats dans la place investie et s’en aller lui-même, c’était compromettre ce qui lui restait encore de popularité. En demeurant au poste le plus périlleux, exposé, s’il succombait, aux vengeances certaines des vainqueurs, il prouvait aux plus soupçonneux sa détermination de vaincre ou de mourir. Il mettait en quelque sorte sur la conscience de la Gaule entière le devoir