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de se lever en masse pour délivrer son champion. Notons cette confiance chevaleresque dans le point d’honneur national comme un de ces traits qui font de Vercingétorix un héros selon notre cœur. M. Mommsen reproche à nos ancêtres gaulois d’avoir été beaucoup trop chevaliers, pas assez politiques et positifs. Acceptons le reproche, on ne l’a jamais adressé aux siens. Le discours que le brenn tint à ses cavaliers avant de les congédier est d’une mélancolique beauté. « Partez, leur dit-il, que chacun rentre dans son canton et pousse à la guerre tous ceux qui sont en âge de porter les armes. Vous savez ce que j’ai fait pour la patrie. Pensez à me délivrer. J’ai bien mérité de la liberté commune. Ne m’abandonnez pas aux tortures que l’ennemi me réserve. Si vous ne faites pas diligence, 80,000 braves[1] périront avec moi. J’ai fait mon calcul. J’ai tout au plus des vivres pour trente jours. En les ménageant beaucoup, je pourrai peut-être tenir un peu plus longtemps, mais hâtez-vous ! »

La cavalerie partit donc pendant la nuit et réussit à sortir par un point que les Romains n’avaient pas encore fortifié. César ne dit pas que ses soldats se soient opposés à cette sortie ; il n’est pas probable pourtant que plusieurs milliers d’hommes à cheval aient pu s’échapper d’une place telle qu’Alise sans éveiller leur attention. Il est à croire qu’il y eut un engagement, mais que les cavaliers gaulois firent une trouée victorieuse. Vercingétorix fît rentrer tout ce qui lui restait de troupes dans les murs de l’oppide et attendit.

César, de son côté, poussa ses travaux avec une activité prodigieuse. Pour se couvrir contre les fréquentes sorties de Vercingétorix, il ajouta à ses retranchemens de la plaine trois fossés parallèles de quinze à vingt pieds de largeur sur vingt de hauteur et inonda le troisième avec les eaux de l’Oze et de l’Ozerain. La grande circonvallation en arrière de ces ouvrages avancés fut protégée par un rempart de douze pieds que surmontait un parapet à créneaux palissades. Malgré toutes ces précautions, il y avait des engagemens quotidiens et meurtriers. Il était difficile de veiller avec des forces suffisantes sur tous les points attaquables de cette immense enceinte. Les Romains, pour suppléer au nombre par l’art, multiplièrent en avant de leurs principales défenses les inventions les plus ingénieuses de l’ancienne stratégie. Ils hérissèrent le sol de pièges de toute espèce. Il y avait par exemple les « aiguillons »

  1. Nous reproduisons ce chiffre d’après César, qui, comme tant d’autres vainqueurs anciens et modernes, a grossi le nombre des ennemis qu’il a vaincus. Il est fort douteux qu’une place telle qu’Alise eût pu loger 80,000 hommes et les nourrir plus d’un mois. M. le duc d’Aumale, dans l’étude citée plus haut, arrive à la même conclusion en se fondant sur des raisons stratégiques.