impatienté de son obstination, et redoutant les conséquences d’une expulsion par la force, demanda le concours du gouverneur de Saigon. On sait le reste. M. le contre-amiral Dupré envoya au Tonkin un jeune lieutenant de vaisseau. Eut-il raison, eut-il tort de choisir pour cette mission un ancien membre de la commission scientifique du Mékong, l’un de ceux qui des premiers avaient signalé le Song-koï à l’attention des marins et du commerce, un officier ardent, brave jusqu’à la témérité, et peut-être pourvu d’instructions assez élastiques ? De deux choses l’une : ou M. Francis Garnier partit de Saigon avec la pensée de saisir l’occasion d’annexer à notre colonie cochinchinoise un territoire qu’il regardait comme très important de conquérir, ou il donna à ses instructions un sens et une portée qu’elles n’avaient pas. Mais ne fut-il pas excusable d’aider à la lettre de ces instructions et de croire qu’elles lui laissaient une grande latitude ? Répétons que les événemens et les situations ont une logique inévitable. L’infortuné marin se sera demandé pourquoi on l’avait choisi si ce n’était pour appliquer ses idées sur la nécessité de compléter notre colonie de la Basse-Cochinchine par la conquête du Tonkin ; il crut qu’on ne serait pas fâché en France d’avoir en quelque sorte la main forcée et d’obtenir par une équipée cette importante adjonction territoriale sans laquelle notre colonie de Saïgon lui semblait devoir rester incomplète et boiteuse. Peut-être ce raisonnement eût-il été juste, s’il avait été possible qu’il menât au succès. Mais, quel que fût son dédain du courage chinois, M. F. Garnier aurait dû considérer que la partie était par trop inégale. Ce n’est pas avec une centaine d’Européens, même des plus hardis, qu’il était possible d’asseoir notre autorité dans un pays qui compte des centaines de mille habitans. On sait qu’après la première surprise qui fit tomber entre ses mains quelques-unes des principales villes du pays, un détachement de bandits chinois à la solde du gouvernement annamite entoura l’imprudent officier et le tua. Ce fut la fin d’une épopée qui rappelait les exploits de Pizarre et de Fernand Cortez. Il nous reste à dire en quelle situation cette aventure nous a laissés, quelles en ont été les conséquences et ce que nous pouvons nous proposer désormais dans les conditions où notre colonie se trouve placée.
On voit par ce qui précède qu’elle a bien changé de caractère. Notre pensée, après avoir assuré le sort des missionnaires, était d’abord d’ouvrir un simple comptoir en Cochinchine ; notre premier soin avait donc été de décréter la franchise du port de Saïgon. Nous avions compté sans la mauvaise politique de la cour de Hué