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qui malheureusement ne put servir à sa destination, tant les murs étaient encore humides. Il avait également invité tous les Européens des districts voisins, fonctionnaires et officiers, qui, au nombre de deux cents environ, furent transportés et hébergés à grands frais pendant toute la durée de la réception ; quelques-uns étaient même accompagnés de leurs femmes et de leurs enfans. Enfin il avait rassemblé pour la circonstance des échantillons appartenant à toutes les espèces domestiques, ainsi qu’à toutes les familles humaines d’une contrée qui, s’étendant des plaines brûlantes de l’Inde aux plateaux glacés du Thibet, reste sans pareille au monde pour la diversité de son ethnographie comme de son climat. Parmi les exhibitions de jeux et de coutumes nationales auxquelles se livrèrent les représentans de cette population hétérogène, on remarqua surtout une danse religieuse analogue aux mystères de notre moyen âge, qui fut exécutée un soir par une troupe de lamas, moines bouddhistes, appelés tout exprès d’un monastère thibétain avec leurs ornemens, leurs emblèmes et leurs instrumens de culte. Cette représentation offrait d’autant plus d’intérêt que le bouddhisme, après avoir dominé dans l’Inde pendant plus de mille ans et avoir rayonné de là sur presque toute l’Asie, ne compte plus aujourd’hui un seul sanctuaire dans la péninsule, si l’on en excepte les vallées de l’Himalaya voisines du Thibet.

En redescendant sur Agra, les voyageurs firent halte à Dmritsur, le grand centre religieux des sikhes, célèbre par son temple d’or où se conserve le livre saint écrit au XVIe siècle par le gourou Nanak. On sait que la secte des sikhes, purement philosophique à l’origine, ne tarda pas à se transformer, devant les persécutions des mahométans, en un ordre militant et en une confédération politique qui embrassa un instant tout l’angle nord-ouest de l’Inde. Aujourd’hui elle semble revenir à l’hindouisme. Le prince devait visiter le sanctuaire ; mais, comme les prêtres voulurent lui imposer la paire de pantoufles sans laquelle nul n’est admis dans l’enceinte sacrée, il préféra laisser cet honneur aux personnages de sa suite, qui avaient moins à redouter les attaques de la presse méthodiste.

Agra est une des villes les plus monumentales de l’Inde. Rien ne surpasse le panorama de minarets et de coupoles qu’elle étale sur les bords de la Jumna, depuis la collection de palais qui formait la résidence de Shah-Jehan et de sa cour, jusqu’à la silhouette marmoréenne du Taj, qui fait songer à un gigantesque bloc de neige cristallisé dans une mer d’azur. Il n’y a terme d’enthousiasme qu’on n’ait appliqué à cet incomparable mausolée de la belle Moumtaz : rêve de marbre, poème de pierre, château bâti dans les airs avec des gouttes de rosée et des rayons de soleil ! Une Anglaise, Mme Sleeman, a été jusqu’à dire : « Je mourrais volontiers demain pour avoir