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pas bien, il aggravera le conflit entre les pouvoirs publics, que, s’il y a une chambre d’une certaine opinion, on gouvernera sans elle, avec « le concours du sénat, » dont on préjuge gratuitement la soumission ? La théorie est nouvelle. Que M. le président de la république ajoute à cela qu’il restera à son poste jusqu’au bout, il n’y a rien à dire, c’est la constitution. Seulement, s’il entend rester jusqu’au bout, comme c’est son droit, et s’il ne veut rester que dans des conditions qu’il serait seul maître de fixer en dehors des autres pouvoirs, même en dehors du vote universel, il ne faut plus parler du régime constitutionnel. — M. le maréchal de Mac-Mahon n’a aucun mauvais dessein contre la république, nous en sommes convaincu ; mais, par une bizarre contradiction, tous les candidats que son gouvernement patronne ont certainement les mauvais desseins qu’il n’a pas. Tous, bonapartistes, légitimistes, se donnent comme des candidats « anti-républicains. » Les uns réservent tout haut le « droit national, » c’est-à-dire le roi, les autres « l’appel au peuple, » c’est-à-dire l’empire, et s’ils triomphaient, M. le maréchal de Mac-Mahon en serait pour ses bonnes intentions avec l’embarras de ses étranges alliés. Ce serait une anarchie d’un autre genre, de sorte que voilà le pays dans une alternative cruelle : s’il nomme des candidats indépendans, on lui dit qu’il aggravera le conflit des pouvoirs publics ; s’il nomme les candidats que le ministère lui présente avec l’investiture officielle, il prépare à coup sûr le conflit des prétentions dynastiques au sein des pouvoirs, peut-être une révolution à jour fixe, au jour de la révision, par l’impossibilité de s’entendre soit sur une monarchie, soit sur la continuation de la république.

Voilà une double perspective bien rassurante, et si, pour tout concilier par un expédient du moment, on se disait qu’il n’y a pas à s’occuper du lendemain, de la révision, que M. le maréchal de Mac-Mahon est là, qu’il suffit à tout, que c’est pour lui qu’on va voter ; si on proposait ainsi d’élever pour la circonstance entre les pouvoirs et les partis une sorte d’omnipotence personnelle d’un nouveau genre suppléant aux institutions ou les éclipsant, nous nous bornerions à rappeler aux légitimistes que tente l’expédient ce mot que Berryer prononçait un jour en pleine assemblée nationale : « Faire reposer la destinée du pays sur la tête d’un seul homme, c’est le plus grand des crimes ! » Le gouvernement ne remarque pas qu’avec ses procédés, ses manifestes et ses combinaisons, il ne fait qu’aggraver l’équivoque dont nous souffrons depuis longtemps, et créer à M. le maréchal de Mac-Mahon lui-même une situation véritablement impossible ; il ne voit pas qu’il ne réussit qu’à troubler les esprits, à rejeter parmi ses adversaires bien des hommes sincères, indépendans, qui ne veulent ni de l’empire, ni de la candidature imposée, ni du pouvoir personnel, et qui ne se croient pas moins des conservateurs.