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V.

M. Mommsen, dans son Histoire romaine, se montre peu sympathique à la nation gauloise. Ses jugemens à son égard sont de la dernière sévérité ; il la considère comme ayant atteint sur certains points un développement précoce, mais comme destinée à mourir jeune en punition de ses défauts et de ses vices. La conquête romaine fut, à l’entendre, finis Galliœ, dans toute la force du terme. Nous sommes d’un avis tout opposé, nous maintenons que c’est la vieille Gaule, modifiée sans doute, mais foncièrement fidèle à son génie indigène, qui a fait la France et qui se retrouve en elle. Si nous en avions douté, les appréciations du savant et partial historien eussent contribué à dissiper nos hésitations, car il est évident qu’en faisant le procès des Gaulois accablés par son grand héros Jules César, il a devant les yeux les Français d’aujourd’hui, et qu’il se procure la satisfaction scientifique de nous abîmer sous le poids de ses dédains en frappant à coups redoublés sur nos pauvres ancêtres. La guerre de 1870 était pourtant encore à venir ; mais il y avait déjà longtemps qu’un certain nombre de professeurs allemands nous l’avaient déclarée. La trop bonne opinion que nous avions de nous-mêmes leur paraissait intolérable, et la modestie germanique se sentait appelée à nous humilier pour notre bien.

Une chose plus étonnante, c’est la complaisance que la plupart de nos historiens, jusqu’à une époque assez récente, ont mise au service du terrible conquérant de notre vieille patrie. Ils ont trouvé presque coupable la résistance acharnée à l’envahisseur qui avait abusé de la simplicité de nos ancêtres en se posant d’abord comme leur protecteur, et en profitant de leurs divisions pour leur imposer la servitude. Cette connivence inconsciente avec l’ancien ennemi national a plusieurs causes qui remontent très haut. D’abord il est certain que la Gaule se résigna à la conquête romaine comme à quelque chose d’inévitable, de fatal, comme à une destinée que toutes les nations, l’une après l’autre, même l’Égypte, même Carthage, même la Grèce, avaient dû subir. La jeune nation, pour ainsi dire émasculée par la mort ou la captivité de presque tous ses vaillans hommes, avait perdu son énergie. César, une fois certain de la soumission, prit soin de réconcilier ce qui restait des grandes familles avec la situation nouvelle. Il ne toucha guère aux coutumes, aux lois, aux autonomies locales, sauf les restrictions, peu senties du menu peuple, qui assuraient la suprématie politique à l’autorité romaine. Il accorda largement le droit de cité. Il combla de titres et de richesses les familles distinguées qui se