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donnaient à lui, il ouvrit même à quelques-unes les portes du sénat, ce qui acheva de les éblouir. Le parti romain, dont l’existence en Gaule au début même de la guerre est désormais hors de doute, se prévalut des événemens pour recruter de nombreux adhérens. César, dont le prestige personnel était si éclatant qu’il dominait jusqu’aux antipathies des peuples vaincus[1], recruta des soldats dans le pays tout entier, des troupes légères en Aquitaine, de solides fantassins dans la Gaule belge, des cavaliers dans la Gaule centrale, et c’est avec une armée en grande partie gauloise qu’il franchit le Rubicon. Lucain nous apprend que, lorsqu’il marcha sur Rome, ce fut dans la grande ville une panique générale. On se crut à la veille d’une nouvelle prise de Rome par les Gaulois. On prétendit qu’il s’était joint aux ennemis acharnés du nom romain pour satisfaire en même temps leurs ressentimens et les siens. Le fait est qu’il fit enfoncer à coups de hache le trésor accumulé depuis de longues années en prévision des invasions gauloises, et le distribua à ses soldats. La Gaule se trouva donc englobée dans les destinées générales de l’empire, et, tout en conservant sa physionomie distincte, ne songea plus guère à s’en séparer.

C’est que, pour elle comme pour la plupart des autres peuples conquis par les aigles romaines, Rome était la civilisation, — l’union avec elle, la garantie par excellence de la paix. L’idée nationale, un moment si vivace, presque réalisée par Vercingétorix, s’était éteinte dans le sang de ses plus illustres champions. Il ne restait plus que des cantons sans cohésion, sans solidarité, qui n’eussent pas manqué de reprendre les armes les uns contre les autres, si l’autorité romaine avait disparu. La Gaule était trop épuisée, trop découragée pour mettre à profit les discordes civiles qui ensanglantèrent l’empire dans les années qui suivirent sa conquête. Auguste d’ailleurs prit soin d’achever l’œuvre de transformation commencée par César. Il partagea la Gaule en trois grandes provinces militaires (la Province proprement dite fut rendue au gouvernement civil du sénat) ; il appela des Germains sur la rive gauche du Rhin pour en faire le rempart de l’empire contre leurs anciens compatriotes, il fonda des villes nouvelles qui ruinèrent les vieilles capitales, il morcela les territoires, érigea des écoles latines, établit des municipes, mina le druidisme, qui devait un regain de popularité à cette circonstance que, seul des élémens caractéristiques de la vieille Gaule, il était resté le même qu’avant la conquête, et, avec un art infini, il sut si bien identifier les dieux et les déesses des deux panthéons, que les Gaulois eux-mêmes ne surent plus les distinguer.

  1. Absolument comme celui de Napoléon Ier dans une grande partie de l’Allemagne pendant les premières années de son règne.