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une confiance absolue, a été reconnue par la plupart des organes de la presse. Ceux-là pouvaient le moins en contester l’utilité qui ont reproché aux miliciens d’avoir manqué de patience devant les provocations de l’émeute et d’avoir fait un usage inconsidéré de leurs armes.

Toutefois le parti démocratique a trop souvent et trop longtemps reproché au gouvernement fédéral d’avoir fait servir l’armée à étouffer dans le sud les manifestations de la volonté populaire pour qu’il n’appréhende pas de se montrer inconséquent en votant une augmentation des forces fédérales. Ses journaux demandent que l’on commence par fortifier l’autorité et les moyens d’action des administrations locales, avant d’accroître les dépenses publiques et de faire un pas de plus dans la voie d’une centralisation dangereuse. Ils oublient de dire où ce surcroît de force et d’autorité pourrait être puisé avec l’application universelle du système électif. Quelques journaux font valoir ce qu’ils appellent « les ressources cachées et les dispositions non écrites de la constitution, » c’est-à-dire le droit de se protéger eux-mêmes qui résulte pour les citoyens de la défaillance des autorités légales : ils constatent qu’en maint endroit l’intervention spontanée des citoyens s’armant et s’organisant en comités de salut public et en corps de volontaires a suffi pour rétablir l’ordre. On peut faire observer que cette intervention sera nécessairement tardive, et si, en attendant qu’elle se produise, des propriétés sont détruites pour des millions, si surtout le sang humain vient à couler, l’économie qu’on aura pu faire sur le budget sera chèrement achetée. Qu’est-ce au fond que cette substitution de l’action privée à l’action publique dans le maintien ou le rétablissement de l’ordre, sinon la mise en mouvement d’une force irresponsable et arbitraire, qui n’est astreinte à aucune règle, retenue par aucune limite, et qui peut manquer impunément de modération, de sagesse et de justice ? C’est une application et une extension de la loi de Lynch, c’est-à-dire de pratiques violentes qu’une société civilisée ne saurait tolérer sans honte.

Qu’arriverait-il d’ailleurs si une lutte sérieuse s’engageait, si les fusils répondaient aux fusils ? Ces rassemblemens tumultueux, si facilement dispersés à Saint-Louis et à Cincinnati, n’avaient que des pierres et des bâtons, à peine quelques pistolets. Ce n’est pas en France ou en Allemagne qu’on aurait raison d’une émeute à coups de bâton. Les grévistes américains n’avaient aucune habitude des armes, aucune instruction militaire : il ne leur est pas même venu à la pensée de s’abriter derrière des barricades ; mais cette inexpérience peut cesser. « Que nous manque-t-il pour tenir tête aux soldats ? disait un mineur pensylvanien. D’avoir des armes et de savoir nous en servir. Nous pouvons l’apprendre. » Dans une réunion