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implicitement qu’il attend ou qu’il acceptera volontiers du gouvernement fédéral la protection qu’il réclame et dont les événemens lui paraissent avoir démontré la nécessité ?

L’un des organisateurs de la grève, Donahue, dans une lettre aux journaux, s’est rallié avec empressement à l’idée d’un arbitrage pour régler les questions de salaires ; mais il n’a point abordé les difficultés d’exécution : comment s’opérera la désignation des arbitres ? où puiseront-ils les règles de leurs décisions, et quels moyens auront-ils de faire accepter et de faire exécuter ces décisions ? Soustraira-t-on le travail à la loi universelle de l’offre et de la demande ? Si des ouvriers se proposent pour faire un travail au prix que d’autres ouvriers auront refusé, sera-t-il interdit de les employer, et les exclura-t-on de la préférence qui leur serait due ? Imposera-t-on ainsi au consommateur, par l’enchérissement artificiel de la main-d’œuvre, une élévation dans le prix de tous les objets ? Les journaux démocratiques traitent avec une extrême sévérité la conduite des républicains de l’Ohio et leur programme, qu’ils qualifient d’amorce grossière pour capter les suffrages des socialistes. La participation obligatoire des ouvriers aux pertes et aux bénéfices des entreprises leur paraît une idée chimérique, et ils considèrent l’intervention de la loi ou d’une administration publique dans la gestion et dans les comptes des opérations industrielles ou commerciales comme la destruction de toute initiative et de toute liberté, comme un empiétement monstrueux sur les droits individuels. Ils demandent comment le congrès pourrait s’emparer de l’exploitation et de l’administration des chemins de fer sans faire table rase des droits des états qui ont concédé et sans méconnaître le droit de propriété des actionnaires. Compte-t-on exproprier ceux-ci pour pouvoir disposer librement de leur bien, mettre aux mains du gouvernement l’exploitation de 100,000 kilomètres, la nomination de l’immense personnel employé sur les lignes, et, par la tarification de tous les transports, subordonner aux caprices législatifs toutes les combinaisons du commerce et de l’industrie ? Quel despotisme surgirait tout à coup au préjudice de tous les droits, au mépris de tous les intérêts ! Serait-il possible de faire un pas plus grand et plus irrévocable vers la centralisation la plus oppressive ? En faisant connaître ces appréciations de la presse démocratique, nous ne nous proposons pas d’entrer dans l’examen des questions relatives à ce que l’on appelle l’organisation du travail, nous voulons établir que ces questions ne sont plus particulières aux sociétés européennes, qu’aux États-Unis elles vont prendre place dans les discussions des partis et jouer un rôle dans la politique intérieure. Le réveil de l’activité industrielle et commerciale pourra les rejeter sur le second plan, la moindre crise les ramènera au premier.