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toutes recueillies, témoignent encore de sa grandeur passée. Les légendes du moyen âge plaçaient dans toute cette contrée des palais magnifiques, souvenirs à demi effacés, et transformés par l’imagination populaire, des monumens que la domination romaine avait jadis élevés sur ces rives.

Sans nous arrêter au village de Venere, nom qui conserve assurément la mémoire d’un ancien culte, ni à celui d’Ortucchio, peut-être identique à l’île d’Issa, mentionnée par Denys d’Halicarnasse parmi les primitifs oppida des aborigènes, nous devons conjecturer que la puissance des Marses avait gagné du sud vers la côte occidentale du lac, puisque nous trouvons mentionnée de ce côté dans les textes anciens, comme faisant partie de la Marsique, une ville aujourd’hui, ce semble, complètement disparue, Angitia ou Nemus ou Lucus Angitiæ, dont le village actuel de Luco marque sans doute l’ancienne place. Quelle était au juste la déesse Angitia ? Son nom paraît signifier : celle qui étrangle. Lui venait-il de ce qu’elle avait enseigné aux anciens Marses comment triompher des serpens et guérir les blessures ? Était-elle identique à la déesse Angerona, qui avait un temple près d’une ancienne porte voisine du forum romain, et qu’on représentait avec un doigt appliqué sur ses lèvres, comme pour ordonner ou s’Imposer à elle-même le silence ? Était-ce la divinité personnifiant l’angoisse intérieure, et en même temps la résignation, vertu stoïcienne et romaine, qui ne permet pas les cris de la douleur ? Était-ce enfin la déesse de l’angine ? Un vieil historien, cité par Macrobe, assure que les Romains atteints de cette maladie cruelle obtenaient par son intervention d’en être guéris. Toutes ces interprétations, dont il est possible que pas une ne soit la bonne, ont été données dans l’antiquité même. Quant à savoir s’il y avait réellement à côté du bois sacré et du temple d’Angitia une ville, c’est un autre problème qui n’a jamais été résolu, mais sur lequel cependant de curieux débris paraissent jeter quelque lumière. On a trouvé enfouis tout près de là des fragmens de bas-reliefs qui représentent peut-être la cité disparue.

Le lac Fucin, autour duquel étaient établis les Marses, a été pour beaucoup dans la destruction de tous ces souvenirs. En même temps qu’il isolait et fortifiait cette région, trop souvent il la désolait, il la stérilisait et la couvrait de ruines. Le Fucin était le plus grand lac de l’Italie centrale et méridionale. D’une forme elliptique, il avait la vaste superficie de 15,000 hectares. Son grand axe, ce qu’on peut appeler sa longueur, du nord-ouest au sud-est, était de 20 Kilomètres, son petit axe de 11, sa profondeur de 18 mètres environ. Ces chiffres s’appliquent à la condition normale du lac, dans l’antiquité comme dans les temps modernes ; mais, par des causes sur lesquelles nous reviendrons, il avait eu de tout temps des