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variations considérables. On a des preuves que, dans les temps historiques, il a couvert de ses eaux la vaste plaine située au nord de son bassin. Julius Obsequens, qui a compilé dans les annales étrusques son livre sur les prodiges, note à la date de 138 avant l’ère chrétienne une crue qui a dû être terrible. Strabon dit qu’aussi vaste qu’une mer, tantôt il s’élève jusqu’au sommet des montagnes, tantôt il s’abaisse, restituant à l’agriculture les champs qu’il lui ravira de nouveau peu de temps après. Avec Marruvium, suivant les anciens auteurs, d’autres villes encore, Archippe, Penna, avaient été englouties. Chacune de ces inondations laissait après elle des marécages, de sorte qu’au culte de la déesse Angitia les Marses avaient ajouté ceux de Mephitas et de la Fièvre. Au lac Fucin lui-même ils élevaient des autels et offraient des sacrifices. Cette religion de la peur était commune à toute la primitive antiquité. Endiguer ou diriger les eaux eût semblé faire violence, comme on disait, à la déesse Nature, aussi bien que couper les isthmes et dessécher les marais. De telles œuvres étaient réservées à des héros, placés au-dessus de l’humanité par l’admiration des autres hommes.

César, grâce à la hauteur de son génie et au progrès des temps, n’avait plus de ces scrupules. Le lac Fucin ne retenait pas seulement improductive une grande étendue de terre au milieu même de l’Italie ; ses crues continuelles contribuaient de plus à la décadence de l’agriculture et aux difficultés toujours croissantes de l’approvisionnement de Rome. Il projeta d’y mettre un terme par de grands travaux hydrauliques, en même temps qu’il construirait une route offrant une précieuse communication entre l’Adriatique et la capitale. Il y voulait joindre le dessèchement des Marais-Pontins, l’établissement d’un vaste port à Ostie, et même l’ouverture d’un canal à travers l’isthme de Corinthe ; il assainirait ainsi trois importantes régions de l’Italie centrale, il contribuerait à écarter les obstacles qui alarmaient sans cesse le marché de Rome, et abrégerait les distances qui la séparaient des marchés de l’Orient.

On sait comment de si vastes projets furent interrompus. L’œuvre politique entreprise par Auguste absorba tout son règne et celui de Tibère. Cependant le fléau de la disette occupait une place toujours plus grande dans les préoccupations, dans les anxiétés des maîtres de l’empire. Ce fléau ne cessa d’agiter Rome et l’Italie pendant les années de Caligula ; de sorte que la pensée du gouvernement impérial se reporta inévitablement vers les grands projets conçus par César. Ce fut à l’empereur Claude que fut dévolue la tâche de les exécuter, à Claude dont l’histoire ne doit pas taire certains actes éclairés, et de qui la science curieuse, impartiale, de nos jours a retrouvé tant d’œuvres intelligentes et utiles. Son célèbre discours de Lyon a été le programme d’une politique juste et libérale. Son