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tout gratuit, aux populations un avenir indéfini de travail, c’est-à-dire de moralité et de bien-être. L’œuvre allait s’avancer avec unité, sûreté, confiance, pourvu que le prince trouvât des ingénieurs habiles et dévoués.

Il eut la main heureuse lorsque, refusant d’abdiquer entre les mains d’un entrepreneur-général, comme le gouvernement napolitain le conseillait, ou bien entre celles, tout aussi suspectes et dangereuses, d’entrepreneurs parcellaires, il choisit un ingénieur français encore jeune et déjà célèbre, M. de Montricher, qui venait d’exécuter les beaux travaux amenant la Durance à Marseille, et de construire l’aqueduc de Rocamadour. M. de Montricher, homme de cœur et de vive intelligence, devait mourir prématurément en Italie pendant l’année 1858, non sans avoir donné les plans principaux et exécuté même les commencemens de l’œuvre. Sa pensée devait lui survivre : le prince n’y voulut pas d’autres continuateurs et d’autres interprètes que deux ingénieurs français, depuis longtemps ses collaborateurs et amis : M. Bermont, que la maladie força de se retirer en 1869, et M. Alexandre Brisse, qui, depuis lors, n’a pas cessé de diriger les travaux, de remédier à d’immenses difficultés, très imprévues, et d’ajouter aux données primitives les ressources d’un talent éprouvé.

Après les études nécessaires, M. de Montricher présenta au prince Torlonia deux projets. Suivant l’un, économe des deniers de son puissant patron, il se contentait, en abaissant le radier de l’émissaire romain, de donner à toute la galerie souterraine une surface de section transversale de 12 mètres carrés ; mais dans l’autre il exposait que les résultats seraient bien plus sûrement conquis, moyennant une dépense beaucoup plus élevée il est vrai, avec une surface de section de 20 mètres. Le prince n’hésita pas à choisir le second projet, et les travaux s’ouvrirent le 10 juillet 1854, par la construction d’une vaste digue ayant pour objet d’isoler des eaux l’émissaire et l’incile. On ne put toutefois commencer d’attaquer l’émissaire qu’à la fin de 1855, car dès le premier jour mille difficultés d’exécution s’étaient produites. On se trouvait en présence d’une crue qui ne cessa, pendant une longue période, d’être gênante. On ne rencontrait pas de bons matériaux à de courtes distances ; on avait à vaincre, chez les populations locales, l’inexpérience complète, l’indolence d’abord invincible, l’entière répugnance pour les travaux souterrains : il fallut fabriquer la plupart des instrumens soi-même, et leur apprendre à s’en servir. Heureusement M. de Montricher fit appel à ces laborieux tâcherons avec lesquels, pendantes années précédentes, il avait accompli en Provence tant de campagnes souterraines. Ils vinrent, ils apportèrent de France