Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/837

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagnes, dit la chanson basque, c’est pour que les hommes ne les franchissent pas. Voyons si la victoire de l’homme a été ici incomplète, et si la nature même ne paraît pas lui avoir pardonné.

Trois jours seront nécessaires aux touristes, qui seront certainement nombreux quand il y aura un chemin de fer se reliant à la ligne de Rome à Naples, pour visiter la vallée du Fucin. Il faut partir d’Avezzano, au nord-ouest du lac ; c’est la sous-préfecture et la principale ville de la contrée ; c’est là qu’a été dès le commencement établie l’administration des travaux ; c’est là que le prince Torlonia a construit ces magasins magnifiques que le langage populaire appelle les greniers de Pharaon. En quelques minutes, on arrive à la limite qui était celle des eaux en juillet 1862. Un piédestal en pierre de taille, surmonté d’une statue de la Madone, marque cette limite. Sur la base est gravée en italien l’inscription suivante : « A la dévotion d’Alexandre Torlonia. Posé sur l’extrême rive du lac Fucin en l’année 1862. » De pareils témoins sont placés, à intervalles égaux, sur tout le périmètre. Cette limite franchie, nous ne sommes pas encore dans la propriété du prince. En effet, devant les prétentions des communes ou des particuliers sur les terres que le lac avait abandonnées d’abord, et qu’ils assuraient leur avoir appartenu jadis, en présence de l’entière confusion des registres cadastraux et des titres authentiques, une première zone, d’une hauteur uniforme, a été abandonnée, au très grand profit des riverains, comme on pense, là surtout où la rive se trouvait d’une pente peu considérable. Pour couper court après cela à toutes contestations, le prince a fait établir, à partir du nouveau périmètre, une route qui fait le tour du domaine ; elle a 52 kilomètres et il faut huit heures en voiture pour la parcourir ; tous les chemins secondaires viennent s’y embrancher. Prenons cette route circulaire en nous dirigeant à droite, c’est-à-dire vers la rive occidentale, vers ce qui reste des anciens ouvrages romains. Cette partie de la vallée est une de celles qui ont été le plus tôt mises à découvert. On y chemine entre des haies vives de magnifiques rosiers sauvages et de chèvrefeuilles, bordées de clairs ruisseaux et de peupliers en pleine croissance. Des saules y ont poussé d’eux-mêmes : un d’eux compte une douzaine d’années et mesure 55 centimètres de diamètre. Derrière les haies s’étendent des prairies, des vignes et des blés. Les débris romains ont disparu presque entièrement sous les travaux modernes. Cependant la magnifique entrée du cunicolo maggiore subsiste, à mi-côte. Par cet antique chemin oblique, ou bien par un escalier moderne situé en aval, on peut descendre dans l’émissaire, en admirer les voûtes, et naviguer même, non sans quelque péril, sur son rapide courant. Un peu plus