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un pareil état pour de la folie, l’illuminé n’est pas plus fou que l’extatique ; il est seulement, comme lui, sous l’influence exclusive d’un sentiment très noble et très puissant, le sentiment religieux, qui, par son exaltation, peut produire cet état cérébral particulier qui engendre l’hallucination. Or l’hallucination, nous l’avons vu, n’est pas incompatible avec l’intégrité de la raison. On dira, il est vrai, que l’illuminé témoigne d’un dérangement intellectuel en prenant son hallucination pour le signe d’une mission divine ; mais croire que Dieu choisit certains hommes pour faire d’eux ses organes auprès du genre humain, c’est là une opinion qui n’a rien d’absurde et qui, surtout aux époques de foi profonde et de ferveur religieuse, fait en quelque sorte partie du sens commun. Un homme d’un esprit éminent, d’une moralité exceptionnelle comme fut Swedenborg, pouvait, sans être fou, se figurer qu’il avait reçu des lumières surnaturelles pour l’interprétation des Écritures, et cela d’autant plus que, selon le protestantisme, où fut élevé l’illustre Suédois, tout homme a qualité pour interpréter la Bible.

Entre l’illuminé et le fanatique, il n’y a guère de différence que dans les moyens employés. L’illuminé n’a ordinairement recours pour faire triompher la parole et la volonté de Dieu qu’à des moyens pacifiques, le livre, la prédication ; le fanatisme s’adresse à la contrainte : les voies violentes, cruelles même ne lui répugnent pas ; son zèle s’armera au besoin du fer et du feu. Les attentats les plus monstrueux contre l’humanité lui sembleront méritoires ; il allumera les bûchers de l’inquisition ; il bénira les massacres de Béziers, des Vaudois, il commandera les dragonnades. Ici, par conséquent, se pose un délicat problème de responsabilité. Il semble bien que le fanatique croie faire œuvre pie et soit moralement aveuglé sur l’iniquité de ses actes ; il aurait donc avec le fou, entre autres caractères communs, celui d’être irresponsable ? Nous ne saurions accepter cette doctrine, qui ferait de Bossuet un fou, puisqu’il applaudit aux dragonnades. Le fanatisme n’est pour nous qu’une passion exaltée, et la passion, même exaltée, n’est pas la folie ; elle peut être éclairée, elle peut être combattue. Ce zèle pour la gloire de Dieu, cette ardeur pour faire régner sa loi, sont choses louables en elles-mêmes, mais n’impliquent aucunement les moyens odieux de la persécution. Qu’est-ce donc qui rend le fanatique persécuteur ? C’est la croyance que Dieu approuve et commande de tels moyens. Or cette croyance ne découle nullement du sentiment religieux, si vif qu’on le suppose ; elle est au contraire injurieuse et sacrilège envers la Divinité. Elle est la conséquence d’une fausse notion de la nature divine. On dira que cette erreur fut invincible : nous ne le pensons pas. Prétendre connaître de science certaine la volonté de Dieu nous paraîtra toujours le fait d’un immense orgueil,