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naissent ambitieux ; les circonstances peuvent favoriser cette tendance de leur nature et la rendre assez puissante pour les entraîner à des actes blâmables ou criminels : dira-t-on pour cela qu’ils sont irresponsables ? Non, car une telle passion, n’est pas de celles qui atteignent du premier coup au plus haut degré d’intensité ; elle grandit lentement ; il est toujours possible d’en surveiller les progrès, de se placer volontairement dans des conditions ou de se faire des habitudes d’esprit qui, au lieu de l’exalter, la laissent peu à peu languir et s’éteindre. De plus, l’ambition suppose d’ordinaire un développement des facultés intellectuelles qui ne permet pas de penser que l’ambitieux puisse être dans un aveuglement invincible relativement à la valeur morale des actes auxquels sa passion l’entraîne. Dès lors sa responsabilité est entière.

Nous en dirons autant de l’avare ; la passion qui finit par le dominer ne l’envahit que peu à peu, à mesure que l’âge arrive et que les richesses s’accumulent ; elle n’est pas susceptible d’exacerbation soudaine, de raptus, toutes conditions qui laissent à l’avare le temps de se reconnaître, de s’interroger, de prendre ses précautions contrôles progrès du mal. L’avarice, il est vrai, suppose moins d’intelligence que l’ambition ; mais en revanche elle provoque la moquerie ou la réprobation générales, et ces sentimens malveillans dont l’avare s’aperçoit qu’il est l’objet de la part d’autrui lui sont un avertissement qui fait ordinairement défaut à l’ambitieux. Nous ne saurions donc admettre qu’il soit dans l’impossibilité de s’éclairer sur le caractère moral de sa passion, de la combattre et d’en triompher.

Il en est tout autrement pour certaines passions dont l’intensité précoce, exceptionnelle, semble être l’effet d’une condition vraiment pathologique de l’organisme. C’est ce qui arrive souvent pour l’amour physique. Quand on le voit se manifester avec une effrayante et soudaine énergie, parfois dès l’âge le plus tendre (Marc en cite un exemple chez une petite fille de cinq ans), on ne peut guère douter qu’il n’y ait là quelque chose de morbide, et que plus tard l’être malheureux, affligé de cette infirmité morale, ne puisse être regardé comme irresponsable. La même immunité pourrait être appliquée à certaines perversions exceptionnelles de l’instinct sexuel, qui paraissent congénitales et dont le professeur Westphal a rapporté deux cas fort curieux. L’érotomanie sous toutes ses formes coexiste, on le sait, avec l’intégrité, au moins apparente, de la raison. Marc parle d’un malheureux dont la folie consistait à poursuivre de ses indécentes propositions les femmes du rang le plus illustre. Ses manières étaient celles du meilleur monde, son esprit était des plus distingués ; il avait réussi à convaincre des hommes aussi éminens que MM. Dupin et Tardif de l’injustice de sa