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grandissante commença à faire entendre ses murmures contre les envois trop multipliés de convicts. Envoyer une population de forçats au milieu d’une population d’anthropophages était pourtant une idée humoristique qui n’eût pas été trop en désaccord avec le génie traditionnel de la vieille Angleterre, et elle aurait certainement souri à cet acre doyen Swift qui proposait si facétieusement des boucheries de viande d’enfans pour diminuer la misère irlandaise et poussait avec une sournoiserie si lugubre le poète Gay à écrire une idylle de Newgate. J’imagine aussi que plus d’un squire anglais du bon vieux temps aurait, over his wine, acclamé de ses rires vigoureux l’original moyen de se débarrasser de la canaille anglaise au profit des estomacs de cannibales ; mais les jours du vieux torysme brutalement conservateur et pur de toute mièvrerie libérale étaient passés sans retour lorsqu’on se) souvint des lies découvertes par Cook. Des humoristes plus humains que le vigoureux misanthrope des Voyages de Gulliver avaient la faveur du public, et le mauvais renom de la Nouvelle-Zélande sauva la future colonie de la flétrissure dont gémit encore l’Australie.

Les colonies pénitentiaires une fois fondées en Australie, survinrent la révolution française et le règne de Napoléon Ier, et les Maoris gagnèrent encore vingt-cinq années d’entière tranquillité et de pratiques anthropophagiques non contrariées aux embarras formidables que ces événemens créèrent à l’Angleterre. Enfin en 1814, lorsqu’il fut à peu près certain que la crise continentale allait trouver une solution, on se souvint de la Nouvelle-Zélande, et ces îles furent déclarées colonie britannique par un acte du gouvernement ; mais cet acte ne fut pas plus suivi d’effets directs que ne l’avait été la prise de possession par Cook, et pendant vingt-six ans encore la Nouvelle-Zélande fut une colonie sans colons. Le gouvernement anglais ne fit rien pour tourner du côté de cette nouvelle annexe de son empire le courant de l’émigration. Cette longue hésitation s’explique par des motifs assez honorables, et l’avenir s’est chargé de montrer qu’elle était légitime. Le Colonial office savait que les Maoris étaient une population guerrière ; il sentait que pour former parmi eux un établissement européen il faudrait de toute nécessité le former à leur détriment, et que la conséquence en serait une guerre d’extermination à toute outrance. Or il lui répugnait précisément d’en arriver à cette guerre d’extermination. Quarante ou cinquante ans plus tôt il n’aurait guère reculé devant une telle extrémité, et il est permis de croire qu’aujourd’hui, après les sanglantes expériences répétées que ses rapports avec les différentes peuplades sauvages l’ont amené à faire, il y mettrait moins de façons ; mais ce courant d’humanité, ou, si l’on préfère, de sentimentalité philanthropique, qui, à la faveur de la paix européenne,