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situation où s’agitent bien d’autres questions qui préoccupent l’Europe.

Lorsque la Russie a commencé de dévoiler ses desseins en préparant par des négociations, par des programmes, l’entreprise qu’elle soutient aujourd’hui par les armes en Orient, une chose a frappé aussitôt tous les esprits. Le cabinet de Saint-Pétersbourg semblait s’être donné pour modèle la guerre de 1828. C’étaient presque exactement les mêmes préliminaires, les mêmes revendications, les mêmes incidens de diplomatie, la même manière d’engager une lutte visiblement recherchée. Ici seulement s’arrête l’analogie, et, si la ressemblance a été dans les préliminaires de l’action, elle commence vraiment à n’être plus aussi apparente dans l’action elle-même. La campagne de 1828, sans laisser d’être laborieuse, difficile et surtout coûteuse en hommes, s’accomplissait cependant dans des conditions relativement favorables, et elle pouvait presque dès le début se promettre le succès définitif. La campagne de 1877 se présente sous un aspect autrement grave et presque sombre. Les conditions sont plus dures et bien plus difficiles qu’autrefois, la résistance est mieux organisée, les pertes sont déjà immenses, et le but reste incertain. Depuis près de-cinq mois qu’elle est engagée, cette guerre nouvelle d’Orient est arrivée tout juste au point où les Russes ont assez à faire d’occuper, de défendre le-terrain qu’ils ont sous leurs pieds. Ils ne peuvent pas avoir raison des Turcs, ils ne peuvent pas enlever leurs positions. Ils sont en Bulgarie, campés dans un espace assez étroit du Danube aux Balkans sans reculer comme aussi sans avancer, et réduits à tenir tête de toutes parts, sur le Vid comme sur le Lom. Les armées restent en présence, menacées peut-être de se voir fixées sur place par l’hiver qui commence à se faire sentir. Le mauvais temps devient à son tour un élément redoutable avec lequel il faut compter en Asie aussi bien qu’en Europe.

Quelle est la vraie portée des dernières affaires que Moukhtar-Pacha, récemment décoré par le sultan du titre de ghazi, le Victorieux, vient d’avoir avec les Russes à quelque distance de Kars ? Il y a eu de nouveaux chocs sanglans, meurtriers, dont le résultat est encore assez obscur. Les Turcs, violemment assaillis, ont abandonné des positions, les Russes ne les ont pas conquises, ou, s’ils les ont occupées un moment, ils ne les ont pas gardées. Les uns et les autres s’attribuent naturellement avantage. Le mauvais temps a eu visiblement un certain rôle dans ces rencontres nouvelles dont l’issue peu décisive ne semble pas, dans tous les cas, changer la position de Moukhtar-Pacha et aggraver les choses en Asie autour de Kars. En Bulgarie, aucune action sérieuse ne s’est produite. C’est depuis quelques jours une sorte de halte pendant laquelle il y a eu dans les deux camps quelques modifications de commandement. Suleyman-Pacha, qui a livré à Chipka de si terribles combats sur lesquels son adversaire, le général Radetzki, a fait des rapports d’un intérêt dramatique, Suleyman-Pacha a été envoyée Choumla