Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spéciales. Une politique eût-elle les apparences de la défensive (le ministre ayant eu l’art d’amener ses adversaires à se donner les torts de l’attaque), si elle est aux yeux de la nation une politique hostile et agressive, elle est perdue. Ce sont précisément ces tendances agressives que beaucoup de personnes attribuaient au ministère Guizot. Sa majorité courut dès lors le même péril auquel avaient succombé des majorités semblables en des circonstances analogues. L’histoire en effet nous montre toujours, dès que la tempête éclate, ces majorités saisies par la conscience de l’impopularité et de l’injustice de la cause qu’elles défendent, les individus ébranlés dans leurs convictions et leurs projets, la cohésion des membres, si ferme jusque-là, subitement détruite, et toute la machine s’écroulant dans le sentiment de son impuissance.

« Ces enseignemens de l’histoire ont trouvé dans le sort du ministère Guizot une confirmation nouvelle.

« Le ministre, d’après ses déclarations, défendait l’ordre et la légalité d’une manière strictement constitutionnelle ; d’après les déclarations de ses adversaires, il interprétait cette légalité d’une façon arbitraire, inconstitutionnelle, et il attaquait en réalité ce qu’il se proposait de défendre. Ainsi est arrivé ce qui arrive toujours en pareil cas : une majorité immense dans le pays, qui ne trouvait pas ses idées représentées au parlement, poussée par le sentiment énergique de la volonté générale, forma une coalition, prit fait et cause avec ardeur pour l’opposition parlementaire et s’unit à elle comme un allié redoutable. Dès ce moment, la catastrophe de 1848 était préparée ; le ministre et la majorité avaient beau croire qu’ils pouvaient échapper à la condamnation de l’opinion publique, celle-ci avait déjà envoyé ses assignations, dans une forme reconnaissable pour tous, excepté pour les aveugles[1]. »


Sous ce langage dogmatique et serré, que nous avons tâché de traduire aussi clairement que possible, on a dû remarquer une pensée qui domine toute l’argumentation du maître : intelligence pratique avant tout, Stockmar ne veut pas qu’en des matières si graves on se laisse aller à prendre des apparences pour des réalités. Il y aurait sans doute bien des choses à contester, bien des points à compléter, dans les pages qu’on vient de lire, en ce qui concerne l’appréciation des faits ; il faudrait demander au conseiller de la reine Victoria si le reproche qu’il fait si amèrement à M. Guizot d’avoir faussé le système constitutionnel n’atteint pas au même degré les assaillans ; si, de 1830 à 1848, l’opposition des chambres françaises, comparée à l’opposition du parlement anglais de 1830 à 1848, n’offre pas un spectacle plus fâcheux encore que le ministère de M.

  1. Voyez Denkwürdigkeiten aus den Papieren des Freiherrn Christian Friedrich von Stockmar, p. 478-482.