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quart de siècle, reprirent leur cours interrompu. Vainement de notre côté tout un groupe d’intelligences d’élite, poètes, penseurs, savans, philosophes, se sont appliqués à effacer tous les mauvais souvenirs ; les générosités de l’esprit français ont été impuissantes à détourner ce courant.

Aussi, dès qu’on apprit en Allemagne la révolution du 24 février, deux partis se constituèrent immédiatement : d’abord le parti démagogique, le parti de la révolution cosmopolite, ensuite le parti de l’unité allemande, celui qui se donna plus tard le nom de parti libéral-national. Ces partis étaient distincts à l’origine, bien qu’ils se soient mêlés par la suite en plus d’une circonstance et que la faction révolutionnaire, aux heures de crise, ait essayé de cacher son drapeau sous le drapeau rouge noir et or, symbole de l’unité de l’empire.

Stockmar était de ceux qui n’avaient jamais cessé depuis 1815 de songer à l’unité de l’Allemagne et chez qui cette idée fixe était devenue depuis 1840 une véritable passion. Les tragiques nouvelles de Paris le surprirent à Cobourg où il avait passé une partie de l’hiver. Le 27 février, le prince Albert lui écrivait pour le rappeler à Londres :

« Buckingham-Palace, 27 février 1848.

« L’état des affaires est mauvais. La guerre européenne est à nos portes. La France est en feu de l’un à l’autre bout. Louis-Philippe est en fuite sous un déguisement, la reine aussi. Nemours et Clémentine ont pu arriver à Douvres. Quant à Auguste, Victoire, Alexandre, de Wurtemberg et aux autres, tout ce que nous savons, c’est que la duchesse de Montpensier est au Tréport sous un nom d’emprunt. Guizot est prisonnier, la république est proclamée, l’armée est en marche vers la frontière, l’incorporation de la Belgique et des provinces du Rhin est annoncée. Ici, on refuse de payer l’income-tax et on attaque le ministère ; Victoria va faire ses couches dans quelques jours ; notre pauvre grand’mère vient de quitter ce monde. Je ne suis pas découragé, mais j’ai besoin d’amis et de conseils dans ces temps dont le poids est si lourd. Venez, si vous m’aimez, si vous aimez Victoria, si vous aimez l’oncle Léopold, si vous aimez votre patrie allemande[1]. »


Cette lettre renfermait quelques détails inexacts, suivant les on-dit du moment, mais le fond n’était que trop vrai. Ces angoisses publiques, auxquelles se joignaient les douleurs ou les inquiétudes du foyer, étaient bien faites pour troubler le prince. L’agitation du

  1. Cette lettre ne se trouve pas dans les Mémoires de Stockmar, je l’emprunte à la belle biographie du prince Albert, par M. Théodore Martin. — Voyez the Life of his royal highness the prince consort, by Théodore Martin, 5e édition, t. Ier p. 480. Londres, 1877.