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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/110

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prises par le gouvernement, l’énergie morale des bons citoyens, déjouèrent sans effusion de sang tous les projets de l’ennemi. L’armée chartiste fut mise en déroute avant la bataille. Ces manifestans, qui devaient être 150,000, ou même 500,000, au dire de leur chef, M. Feargus O’Connor, se trouvèrent réduits au nombre de 30,000. Quand la police leur interdit de passer les ponts en masse, ils eurent le bon esprit d’obéir, et la pétition colossale, au lieu d’être promenée en triomphe dans les grandes voies de la ville, fut voiturée au parlement comme n’importe quel colis par les rues écartées. Il est à peine nécessaire de dire qu’elle fut présentée à qui de droit selon les formes officielles. La victoire de la loi resta pleine et entière jusqu’à la fin.

Le lendemain, 11 avril 1848, le prince Albert écrivait au baron de Stockmar : « Nous avons eu hier notre révolution, et elle a fini en fumée. Londres a remercié plusieurs centaines de constables spéciaux, les troupes ont été consignées hors de la vue du public afin d’éviter toute possibilité de collision, et la loi est demeurée triomphante. J’espère que cela fera une bonne impression sur le continent. »

Les chartistes, il est vrai, ne se tenaient pas encore pour battus, les affaires d’Irlande leur fournirent bientôt de nouvelles occasions d’agiter les villes populeuses. Dans le procès fait à MM. Mitchell, Meagheret Smith O’Brien, comme fauteurs de trouble et de sédition, le premier ayant été déclaré coupable par le jury et condamné à la transportation pour quatorze ans, dès que la sentence fut connue à Londres, les chartistes poussèrent des cris de rage, il y eut des meetings révolutionnaires, des orateurs proposèrent de marcher sur Buckingham-Palace et d’arracher à la reine la mise en liberté de Mitchell. Les assaillans et la police en vinrent aux mains, on se battait chaque soir, chaque nuit, sans qu’il fût nécessaire toutefois de faire marcher la troupe. Il y avait bien quelques têtes cassées par-ci par-là, mais les policemen, chargés d’arrêter l’émeute, suffisaient à la besogne. C’est ce que le prince Albert écrivait à Stockmar :

« Buckingham-Palace, 6 mai 1848.

« … Nous avons chaque nuit des émeutes chartistes qui ont pour résultat un certain nombre de têtes cassées. L’organisation de ce parti est incroyable, ils ont des signaux secrets et correspondent de ville en ville au moyen de pigeons voyageurs. À Londres, ils sont forts de 10 à 20,000 hommes ; c’est peu de chose assurément sur 2 millions d’habitans, mais le jour où leur organisation leur permettrait de se porter en corps sur tel ou tel point, ils pourraient tenter avec succès un coup de main. Jusqu’à présent on a eu raison de l’émeute avec le seul secours