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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/112

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fut un grand service rendu à l’équilibre européen, car l’ambition allemande se trouva brusquement ajournée. Gagner du temps en politique, c’est souvent chose capitale, et, si l’on se rappelle que cette création, déclarée non viable dès le premier jour, a duré plus d’un demi-siècle (1815-1866) au milieu de tant de révolutions, on ne peut que rendre hommage à l’habileté de M. de Talleyrand, comme aux sages intentions des plénipotentiaires anglais et russes. Et cependant Stockmar avait vu juste ; la confédération germanique sous la suprématie de l’Autriche était une œuvre condamnée à périr. Quand on pense à la manière dont elle a disparu, tuée par la Prusse aux applaudissemens de presque toute l’Allemagne, on se demande si l’ajournement du péril que redoutaient les maîtres de la diplomatie n’a pas rendu ce péril beaucoup plus grand. La rupture du pacte fédéral a entraîné des conséquences dont l’Europe est encore ébranlée. Peut-être, si la confédération eût été placée dès 1815 sous l’hégémonie de la Prusse, aurait-on épargné de grands malheurs à la civilisation. Le monde germanique n’étant plus blessé dans ses sentimens nationaux, on ne l’aurait pas vu travailler ou se prêter à la destruction du lien fédéral. L’institution nouvelle aurait pu être entourée de garanties confiées à la garde des grandes puissances, tandis que rien de pareil n’était possible après Sadowa et la capitulation de Paris. Il est clair d’ailleurs que ces deux guerres funestes et à jamais maudites n’auraient pas attristé l’histoire, l’Allemagne n’aurait pas eu besoin de se jeter sur l’Autriche en 1866, d’envahir la France en 1870. L’unité, sa grande passion, étant depuis longtemps hors de cause, n’aurait donné aucun prétexte de guerre, même à une nation militaire et conquérante. L’Allemagne satisfaite eût contenu la Prusse, tandis que c’est l’Allemagne irritée qui a mis au service de l’ambition prussienne ses revendications et ses colères.


IV

Il est difficile de se soustraire à ces douloureuses réflexions quand on interroge les notes de Stockmar. Tout ce que les événemens de 1866 et de 1870 ont constitué avec violence, Stockmar aurait voulu le voir établi d’une façon pacifique, sagement et libéralement, dès l’année 1815. Même à cette date il aurait voulu que l’Autriche fût exclue de la communauté allemande. Cette exclusion, accomplie seulement en 1866, au lendemain de Sadowa, il eût désiré qu’elle fût prononcée par le congrès de Vienne. Cette vue de l’avenir ayant échappé aux diplomates de 1815, le baron revint à son idée en 1848. Ce que le congrès n’avait pas osé faire, il espéra que la révolution, habilement dirigée, pourrait le mener à bien. Cette préoccupation