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passions anglaises de 1846, il a jugé sans bonne foi la conduite du roi des Français. On ne peut donc s’étonner de la sécheresse et même de l’aigreur de son langage, quand il mentionne en ses Mémoires la date funèbre du 26 août 1850 ; nous ne sommes que trop préparés aux sentimens hostiles dont ses paroles gardent l’empreinte. Mais avec quelle admiration il parle du caractère de sir Robert Peel, de ce génie à la fois si ferme et si ouvert, de cette vie politique si féconde ! Avec quel respect, avec quelle piété, pour ainsi dire, il s’incline devant la figure vénérée de la reine Louise ! Sir Robert Peel et la reine Louise, après le roi Léopold, après la reine Victoria et le prince Albert, ce sont les physionomies que le rigide baron a retracées avec le plus d’amour. Sur ce fond souvent triste, elles se détachent dans un rayon de lumière.

On connaît tous les détails de la mort de sir Robert Peel ; M. Guizot les a racontés en d’admirables pages[1]. Même après ce tableau magistral, les souvenirs de Stockmar peuvent encore être interrogés avec profit. Stockmar a été un des témoins intimes de cette grande existence. Le jour où sir Robert expire, la reine, le prince, dans la douleur qui les accable, associent Stockmar à tous leurs sentimens. C’est le 30 juin 1850 que l’illustre homme d’état, jeté à bas de son cheval pendant une promenade à Hyde-Park, avait été relevé sans connaissance. Le 2 juillet, à onze heures et demie du soir, il rendait le dernier soupir. Le lendemain, le prince Albert écrit à son ami de Cobourg :


« Cher Stockmar, vous allez partager notre profonde affliction, car vous pouvez mesurer toute l’étendue de notre perte, ayant toujours apprécié notre ami comme nous le faisions nous-mêmes : Peel est mort cette nuit vers onze heures. Vous devez savoir qu’il était tombé de cheval samedi dernier en face du mur de notre parc, et s’était brisé la clavicule et l’omoplate. Il a beaucoup souffert ; la douleur et la fièvre, avec sa constitution goutteuse, ont été les plus fortes. Quelques heures avant l’accident, il siégeait avec nous dans la commission, avisant aux difficultés où nous jette, pour l’exposition universelle, le refus qui nous est fait de l’usage du parc.

« Les débats sur Palmerston avaient duré la nuit précédente jusqu’à cinq heures du matin, et Peel avait prononcé un discours admirable. Maintenant le voilà mort… nous sommes dans un profond chagrin. Ajoutez ceci, que je ne puis vous cacher : nous allons peut-être nous trouver forcés de renoncer complètement à l’exposition. Nous avons annoncé notre intention de prendre ce parti, si, le jour où doit commencer la construction du grand édifice, l’emplacement que nous demandons nous est refusé. Peel avait promis de se charger de l’affaire à la chambre

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1856.