engin, appliqué par toutes les sociétés civilisées au maintien de la paix, est devenu entre vos mains un engin d’hostilités et de guerres. »
Ainsi, conscience, justice, humanité, respect de tous les droits, voilà le secret des évolutions parlementaires de sir Robert Peel, le noble secret de ces volte-face qui ont soulevé contre lui tant de fureurs intéressées. Le baron de Bunsen, un des admirateurs de Peel, a dit que son malheur était d’avoir débuté dans le parti tory, lui qui avait plutôt les sentimens des anciens whigs. « Les vieux tories, écrit-il, ne lui ont jamais pardonné son origine bourgeoise, et quand ils ont vu le fils du manufacturier introduire les réformes que repoussait son parti, ils l’ont accusé de perfidie, de trahison, ils l’ont traité de radical. Grandi parmi les whigs, il eût opéré ses réformes sans donner un démenti à toute une moitié de sa carrière[1]. » Nous ne saurions partager ce regret. La destinée du grand ministre, avec les péripéties dont elle est pleine, contient une leçon bien autrement éloquente. Robert Peel, formé à l’école des tories, s’est élevé loyalement par la seule énergie de la conscience, avec un désintéressement héroïque, au-dessus de son parti — et de tous les partis. Oui, sans doute, quand on le voit, au début de sa carrière, combattre comme député d’Oxford l’émancipation des catholiques, puis contribuer en 1829 au triomphe de cette cause ; quand on le voit, si opposé d’abord à la réforme électorale, travailler ensuite à en assurer libéralement les conséquences ; enfin, quand on le voit, malgré le parti qui l’a fait arriver au pouvoir, détruire les anciennes lois d’impôts et de finances dont il a reconnu l’iniquité, on est frappé de ces contradictions extraordinaires qui l’ont exposé aux plus violentes insultes. Est-ce légèreté, palinodie, intérêt personnel, recherche de la popularité ? Non, certes, l’ensemble de ses actes explique et justifie tout. Le jour où il a préparé lui-même sa chute en s’alliant aux whigs et aux radicaux pour faire abroger la loi des céréales, ce jour-là, le plus beau de sa vie, une clarté subite illumine d’un bout à l’autre la carrière du grand homme d’état. Toutes les ombres se dissipent, une figure sans tache apparaît en pleine lumière.
Aussi, quel concert de lamentations autour de son lit de mort ! À la chambre des communes lord John Russell, à la chambre haute lord Stanley, lord Lansdowne, le duc de Wellington, exprimèrent noblement la douleur publique. La voix du vieux duc de fer tremblait d’émotion, quand il se leva pour apporter son témoignage à celui qu’une aristocratie intraitable avait tant injurié : « Jamais,
- ↑ Voyez Christian Carl Josias Freiherr von Bunsen, aus seinen Briefen und nach eigener Erinnerung geschildert von seiner Wittwe, t. III, p. 89-90. Leipzig, 1871.