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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/136

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encouragerons les Turcs, nous conseillerons aux Italiens de se grouper autour de la maison de Savoie, nous tâcherons de faire comprendre au parti révolutionnaire national dans toute l’Europe que le Piémont et la Prusse sont les deux seuls états européens dont l’existence et l’avenir soient étroitement liés au succès de l’idée de nationalité, en ce qu’elle a de raisonnable. Nous empêcherons à tout prix l’accroissement des états moyens de l’Allemagne, puis nous attendrons le moment où l’Autriche, essayant de régler ses finances et d’organiser son système politique, fera un éclatant fiasco. Alors, comme on dit, chacun son tour ! Alors nous lui rendrons, à ce Schwarzenberg, nous lui rendrons avec usure ce qu’il nous a fait. »

Nous ne pouvons lire aujourd’hui ces paroles sans en ressentir une impression profonde. Quel cri de haine ! et quelle sûreté de coup d’œil ! Voilà bien le plan de campagne qui a conduit la Prusse d’Olmütz à Sadowa. M. de Pourtalès annonçait en 1851 la victoire de 1866. Quant à Stockmar, s’il a eu communication de ces lettres, et tout nous porte à le croire, il a dû y blâmer des idées excessives. Il partageait certainement l’indignation de M. de Pourtalès et de M. de Bunsen, mais il était trop sage pour approuver ni l’esprit ni l’accent de ce programme. On voit en effet dans ses notes que sa préoccupation principale, au moment où Bunsen entretient avec ses amis ces correspondances irritées, était de défendre le roi de Prusse contre les accusations de politique révolutionnaire que ne lui ménageaient pas les hommes d’état anglais. « Quoi ! disait-il, Frédéric-Guillaume IV accusé d’avoir voulu se servir de la révolution pour agrandir la Prusse aux dépens de l’Autriche ! Rien de plus contraire à la vérité. Certes le roi de Prusse et tous ses ministères, depuis 1848, ont commis des fautes inconcevables ; jamais ils n’ont mérité ce reproche. Bien loin de là, c’est l’horreur de Frédéric-Guillaume à la seule idée d’une politique révolutionnaire qui l’a mis dans la position fausse où il est aujourd’hui. » En un mot, selon Stockmar, le roi de Prusse n’avait nui qu’à la Prusse. Le grand coupable, en toutes ces affaires, c’était le prince de Schwarzenberg avec sa politique menaçante et brutale.

Cette politique menaçante et encore plus hardie qu’on ne le pensait alors nourrissait la prétention de faire admettre tous les états de la monarchie autrichienne, c’est-à-dire des pays slaves, magyars, italiens, dans la confédération germanique. Pour introduire une mesure qui modifiait d’une façon si grave les conditions de l’Europe centrale, le prince de Schwarzenberg avait demandé d’abord le consentement de la Russie, et, après quelques hésitations du tsar Nicolas, il n’avait pas tardé à l’obtenir. Dès que l’Angleterre et la France soupçonnèrent ces négociations, avant même