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les ministres, les ministres entraîneraient le parlement. Frédéric-Guillaume se faisait là de singulières illusions, et le prince Albert fut obligé de les détruire dans une pièce très intéressante que M. de Bunsen a publiée tout au long. Le prince Albert explique à Bunsen qu’il lui est impossible, absolument impossible, de se mêler d’une négociation de ce genre. L’alliance de l’Angleterre et de la Prusse est chose de si grande conséquence que les ministres responsables des deux états ont seuls le droit de s’en occuper. Quant aux ministres anglais, bien que la conclusion d’un pareil traité fasse partie des prérogatives de la couronne, ils ne décideraient rien sans un vote du parlement, car il s’agit ici d’une alliance qui pourrait engager le pays dans une guerre. Bunsen, commentant ces paroles, résume avec précision les sentimens de l’Angleterre au sujet de l’unité germanique. « Entre l’Autriche et la Prusse, l’Angleterre veut rester neutre. Si elle n’aime pas ce système de réaction à outrance que représente le prince de Schwarzenberg, elle n’aime pas davantage la politique de la Prusse. Elle la trouve équivoque, inquiétante, pleine de sous-entendus périlleux. À supposer que la reine accueillît avec faveur l’idée d’une alliance anglo-prussienne, elle ne trouverait pas aujourd’hui de ministre pour soutenir cette cause devant les chambres. Une preuve de ce sentiment général, c’est l’article méchant, haineux, que le Times a publié ce matin même. On y reproche à la reine d’avoir invité à Windsor l’homme de la guerre, le général de Radowitz, et on y engage le prince Albert à se souvenir qu’il a cessé d’être un prince allemand[1]>. »

Au milieu de cette défiance générale de l’Angleterre, Stockmar est heureux de trouver au moins des compatriotes qui partagent ses opinions. Le prince Albert, sans oublier une minute ses devoirs de prince anglais, ne saurait étouffer dans les conversations intimes les sentimens que lui inspire l’Allemagne. Quant à Bunsen, il était alors le confident naturel de tous les Allemands que la convention d’Olmütz avait exaspérés. C’est à lui que M. de Camphausen, M. de Pourtalès et bien d’autres envoient ces lettres passionnées où éclatent des cris de vengeance. Nous avons déjà cité dans une autre étude[2] cette page extraordinaire que M. le comte Albert de Pourtalès, ambassadeur de Frédéric-Guillaume IV auprès de la Porte-Ottomane, adressait de Constantinople à M. de Bunsen, le 18 janvier 1851. C’est un cri d’indignation sur l’abaissement de la Prusse à Olmütz, un appel et un programme de revanche : « … Nous agirons sans relâche contre nos bons amis Nicolas et François-Joseph, nous

  1. Christian Carl Josias Freiherr von Bunsen, t. III, p. 158-161.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1873, l’étude qui porte ce titre : Frédéric-Guillaume IV et le baron de Bunsen, — les humiliations de la Prusse en 1850.