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jamais pu savoir, dit Bebelius, comment les deux frères se sont mis d’accord. » En nous racontant cette facétie, le savant allemand ne nous dit pas où il l’avait prise : elle lui était probablement venue d’un humaniste italien qui la tenait d’un simple paysan. Il est certain que la fable court encore les provinces de Naples et d’Avellino ; il y a des additions et des variantes. Au lieu de deux frères, ce sont deux bêtes amies, le coq et la souris, qui vont cueillir des poires dans un verger, le coq y met de la mauvaise foi : du haut de l’arbre il jette à sa compagne un fruit qui lui fend la tête. Elle court alors chez le médecin, qui, pour la guérir, lui demande des chiffons. Elle va chez le chiffonnier, qui réclame en paiement une queue de chien ; le chien, pour donner sa queue, veut du pain ; mais le boulanger a envie d’un lion que la souris va demander à la montagne, Et ainsi de suite : on comprend tout ce que la poésie et la volubilité méridionales peuvent broder sur ce canevas. La kyrielle de refrains recommence à chaque nouvelle démarche de la souris : « Montagne, donne-moi le lion, afin que je le porte au boulanger ; le boulanger me donnera du pain, que je porterai au chien ; le chien me donnera sa queue, que je porterai au chiffonnier ; le chiffonnier, des chiffons que je porterai au médecin, et le médecin guérira ma tête que le coq a fendue. » Enfin la souris va chez un galantuomo (un monsieur) et lui demande de l’argent : le galantuomo ne veut lui en donner que si elle entre à son service ; elle y consent, mais sa tête fendue s’enfle à tel point qu’elle en meurt.

Dans ce dernier trait perce la haine du paysan contre le monsieur, le galantuomo. Le conte de Bebel devient une satire sociale. Nous ne sommes pas bien sûr que la nourrice de qui nous le tenons n’ait pas un frère ou un amant dans la montagne. La principauté ultérieure, d’où nous vient cette fable, lo Haddro e le Sorece, est le pays d’Italie le plus fertile en brigands.

Les animaux jouent un grand rôle dans ces récits populaires ; non-seulement ils pensent et parlent comme des chrétiens (on appelle ainsi les hommes dans les provinces méridionales), mais encore ils vivent en parfaite harmonie avec l’être qui se croit seul doué de raison et qui se dit le roi du monde. Cet accord entre bêtes et gens, que les Allemands pensent avoir inventé ou retrouvé dans leurs traditions les plus anciennes, existait bien avant eux dans l’extrême Orient et s’est perpétué jusqu’à nos jours dans les contes de Pomigliano, d’Avellino et de la terre d’Otrante. Saint François d’Assise trouvait des sœurs et des frères dans toute la création ; il pleurait en voyant un agneau mangé par un porc, il attirait à lui des troupeaux de moutons qui aimaient à le suivre ; les oiseaux allongeaient le cou, étendaient les ailes pour l’écouter. Un jour qu’il allait prêcher dans Alviano, les hirondelles faisaient grand bruit