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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/19

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perspectives toutes nouvelles. Il préparait son mariage avec la plus jeune fille du baron d’Huart, la brillante femme qui a porté jusqu’à ces dernières années le nom de De Serre, et que les amis intimes, aux beaux jours de la chancellerie sous la restauration, appelaient la « belle excellence. » En même temps, soit par des raisons de position au moment de son mariage, soit par une sorte de retour instinctif à des traditions de famille, il songeait à entrer dans la magistrature, reconstituée par la main puissante de Napoléon.

Avant de s’engager dans cette carrière nouvelle, il avait hésité ; il sentait le prix de l’indépendance, et il écrivait à Mme d’Huart, dont il allait épouser la fille, à qui il pouvait parler avec la sincérité confiante d’une ancienne amitié : « Si vous n’avez pas pour votre ami plus d’ambition qu’il n’en a pour lui-même ; si le prestige des dignités, des décorations, ne vous séduit pas plus que lui ;… si vous appréciez comme lui cette indépendance, cette sécurité, cette considération toute personnelle et surtout ces jouissances morales, ce développement nécessaire de toutes les facultés qu’il trouve dans son état ; si enfin vous vous élevez avec lui au-dessus de l’opinion du vulgaire de toutes les classes pour vous attacher à la valeur réelle des choses, je pense que vous conseillerez à votre ami de rester ce qu’il est et de travailler seulement à devenir, dans son état, tout ce qu’il peut être… » Il s’était pourtant laissé tenter. Dans ses voyages à Paris, il avait fait des démarches sérieuses, et il avait d’autant plus aisément trouvé faveur que, dans ce monde officiel du jour, il était tombé pour ainsi dire en pleine Lorraine. Le grand-juge Régnier était un Lorrain de Blamont. Le premier chef de division au ministère de la justice, homme d’une grande et aimable autorité, M. de Collenel, était de la Lorraine ; il avait été au parlement de Nancy, émigré lui-même. Un des protecteurs de De Serre, M. Colchen, qui avait été mêlé à la révolution avant d’être sénateur de l’empire, était de Metz, où il avait un frère président. Lorrain aussi était Rœderer, auprès de qui De Serre était accrédité. Tous le connaissaient pour ses talens, pour son nom, pour sa famille, tous s’intéressaient à cette jeune fortune. « Je sors de chez le grand-juge, écrivait-il un jour à sa mère et à Mme d’Huart, il m’a dit : Vous êtes d’une race honorable, vous vous êtes acquis une bonne réputation, vous convenez aux places de la magistrature ; mais vous ne pouvez guère arriver d’emblée à une place de procureur-général. Une place d’auditeur ne convient qu’à un débutant, non à un sujet formé. Attendez le nouveau plan qui se prépare ; il présentera des places d’avocats-généraux. Continuez d’exercer, et soyez sûr, dans l’occasion, de me trouver favorable… » De Serre n’avait pas été en effet oublié. Au mois de février 1811, il était