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habitudes d’un esprit formé à la lecture de Montesquieu, développé par la philosophie allemande. A peine engagé dans cette voie, il s’était mis passionnément au travail, menant de front la pratique des affaires et l’étude de la jurisprudence, du droit romain, du droit coutumier, habile à débrouiller le chaos de lois anciennes et nouvelles d’où sortait le code civil. « Il étudiait nuit et jour, dit un de ses biographes, M. Salmon ; il était à l’œuvre avant que les artisans ne fussent à leurs ateliers. La lampe qui éclairait, en hiver, la petite chambre d’un troisième étage où il s’était établi, donnait le signal du travail aux ouvriers du quartier[1]. » Il ne faisait rien à demi, et dans ce barreau de Metz, où il avait pour émule M. Mangin, qu’il devait appeler plus tard comme directeur des affaires civiles à la chancellerie, il était devenu rapidement un des premiers avocats, respecté des magistrats pour la sûreté de son jugement, popularisé par l’éclat de l’éloquence dans des débats retentissans. Hercule de Serre n’avait que le choix des cliens et des causes. Il dirigeait particulièrement en ami autant qu’en conseiller les vastes affaires de M. de Wendel, ancien émigré comme lui, rentré comme lui et occupé à relever les forges d’Hayange, à fonder une grande industrie. Il aimait son état, et pendant un de ses premiers voyages à Paris, en racontant à sa mère ses courses, ses visites, son séjour dans la grande ville, il ajoutait : « J’en profiterai surtout pour entendre quelques grands maîtres du barreau, où je n’ai pu encore aller que deux fois. Aujourd’hui j’ai écouté pendant près de quatre heures le célèbre Delamalle dans une cause de divorce intéressante par la qualité des personnes. Ce sont quatre heures bien employées, et plus d’une fois mon âme a fermenté du désir d’égaler un jour de pareils hommes. » Il n’avait pas tardé à les égaler en attendant de les dépasser.

C’était à cette époque, en plein empire, entre 1804 et 1810, un homme dans l’éclat de l’âge, heureux dans sa famille, favorisé par le succès, entouré d’une considération personnelle grandissante. Il le disait à sa mère. « Je suis injuste envers le ciel toutes les fois que je me livre à la tristesse. Une bonne mère, des amis rares, mon état, la vie que je mène, mon âge, non jamais sans doute je n’aurai plus de sources de bonheur… Quelque force seulement pour régler cette sensibilité qui mêle souvent d’amertume le bonheur qu’elle devrait seulement goûter,… et je pourrais dire avec fierté : Quel homme est aussi heureux que moi ? » Deux choses venaient bientôt compléter ce bonheur et agrandir cette existence, en ouvrant à l’émigré de Reutlingen, à l’habile avocat de Metz, des

  1. Étude sur M. le comte de Serre, par M. Salmon, membre de l’académie de Metz.