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Aller à une extrémité de l’empire, à Hambourg, inaugurer une justice nouvelle, diriger une cour où il n’y avait que quatre Français, organiser des tribunaux, introduire les lois de la France au milieu des traditions et des mœurs allemandes, ce n’était pas une œuvre facile. Il y avait à maintenir l’indépendance de la justice et à vivre en bonne intelligence avec tous les fonctionnaires impériaux, avec les conseillers d’état formant une commission de gouvernement, surtout avec la première des autorités, le maréchal Davout, prince d’Eckmuhl, gouverneur des pays de l’Elbe, de la 32e division. De Serre ne s’effrayait pas des difficultés, et avant peu il avait mis sa cour en mouvement, il avait pris sa place en magistrat supérieur, par son caractère autant que par son esprit, par une fermeté conciliante et habile. Il était bien vu du maréchal, auprès de qui il avait trouvé le meilleur accueil. Il avait l’occasion, dans ce camp lointain, de voir passer une foule de généraux, Carra Saint-Cyr, Morand, Durutte, Radet, Lauriston, et avec quelques-uns il avait des rapports d’amitié. Il ne se sentait nullement exilé dans ce monde un peu mêlé, semi-allemand, semi-français, et il écrivait familièrement : « J’ai trouvé ici un jeune de Castries, petites du maréchal de France, aide-de-camp du prince d’Eckmuhl, qui me plaît beaucoup, un jeune Caraman, petit-fils de celui que vous avez connu et qui est capitaine d’artillerie légère, M. de Villeneuve, qui vous loua Pagny, et qui est ici directeur d’artillerie. On se retrouve ici, comme à Paris, gens de toutes nations et de toutes couleurs. M. Fiévée, auteur de la Dot de Suzette, est ici maître des requêtes chargé de la liquidation, et M. Guy, inspecteur des forêts, est un auteur de plusieurs opéras estimés. Joignez à cela les richesses allemandes ; il y a des ressources pour la société… Encore quelques semaines, ajoutait-il dans une autre lettre à sa mère, et nous serons réunis : Hambourg alors me sera la France. » Si ce n’était pas encore la France, même après l’arrivée de sa mère, de sa jeune femme, c’était au moins une image de la France, et, pour sa part, De Serre, avec sa droiture généreuse, avait résolu le problème d’être un premier président français aimé et respecté chez des étrangers. « On me dit que je ne déplais pas aux Hambourgeois, » écrivait-il, — et c’était vrai !

Malheureusement ce qui avait été fait par la conquête était menacé d’être emporté par la conquête. Ce que la guerre avait improvisé allait disparaître dans la guerre, dans les suites fatales de la catastrophe de Russie. Dix-huit mois à peine séparaient de la grande débâcle annoncée par le 29e bulletin du 3 décembre 1812, et un des épisodes les plus curieux assurément serait l’odyssée de ces colonies françaises des pays annexés à travers les dramatiques