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péripéties de 1813, A Paris, on ne voulait pas de fugitifs, qui auraient été le vivant témoignage d’un désastre croissant, d’une domination en déclin. La volonté de l’empereur, incessamment transmise par ses ministres, était que tous les fonctionnaires obligés de se replier devaient rester à portée des événemens pour reprendre leur poste au premier signal[1]. D’un autre côté, l’invasion, en avançant toujours, en se fortifiant des insurrections ou des défections allemandes, arrachait une ville, une province, refoulant l’administration française. Les fonctionnaires formaient ainsi une sorte de population flottante enveloppée dans le tourbillon des événemens, à la merci d’un succès toujours espéré ou d’un nouveau revers de la grande armée. Ils remplissaient les villes et les chemins de l’Allemagne, livrés aux fluctuations de la guerre, attendant leur sort d’un Lutzen ou d’un Leipzig.

La cour de Hambourg avait le sort de toutes les administrations françaises, et son président était de cette tribu errante de fonctionnaires au service des événemens. Entraîné une première fois en mars dans un mouvement de retraite dont Napoléon faisait presque un crime au général Carra Saint-Cyr, ramené à Hambourg par le retour Victorieux du mois de juin, puis éloigné encore avant le blocus où Davout allait se couvrir d’une dernière gloire, De Serre passait ce cruel été de 1813 en courses perpétuelles, au milieu de perplexités de toute sorte. Il campait tantôt à Wesel ou à Munster, tantôt à Osnabruck ou à Brème, se concertant avec son procureur-général, M. Eichorn, avec M. de Faban, intendant-général des finances auprès du prince d’Eckmuhl, et en définitive n’ayant rien de mieux à faire que d’attendre les ordres du maréchal.

Vie singulière partagée pour lui entre l’étude et ses compagnons de mauvaise fortune ! A Munster, il se plongeait dans la lecture, et, se rappelant qu’il « lisait l’Esprit des lois à Pagny avant d’entrer dans la carrière, » il trouvait « curieux et instructif de le relire après l’avoir parcourue. » A Osnabruck, on se réunissait souvent, et, quand il y avait une victoire comme Lutzen ou quelque signe favorable comme la nouvelle du congrès de Prague, la gaîté renaissait dans ce monde toujours français. « vous auriez été égayée, écrit-il un jour d’Osnabruck à sa mère, si vous eussiez été de notre partie de campagne d’hier. Nous étions près de quarante, tous fonctionnaires et presque tous Français d’origine. Une maison élevée sur un perron au milieu des bois plantés, avec beaucoup de grandeur, par les propriétaires successifs depuis plus d’un siècle ; une vaste salle

  1. Voyez plusieurs lettres impériales du mois de mars 1813. — Correspondance de Napoléon Ier,, t. XXV.