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meilleurs. La critique du texte, sauf peut-être quelque excès de hardiesse, y est excellente. Il semblerait de prime abord qu’elle ne constituait pas la tâche la plus considérable ni la plus difficile. De bons manuscrits, un surtout que possède notre Bibliothèque nationale, et l’usage qu’en avaient fait Immanuel Bekker, Baiter et Sauppe, W. Dindorf, Vœmel, mettaient à la disposition du nouvel éditeur des ressources qu’on est loin de trouver pour tous les auteurs de l’antiquité. Il ne faudrait pas croire cependant que tout fût fait et que M. Weil n’ait pas eu à faire preuve de vigilante attention, de sagacité, de science et de goût. Il y a encore à choisir parmi les diverses leçons qui se partagent quelquefois la faveur des savans ; il y a des interpolations à retrancher, quelques omissions à réparer, et surtout, c’est là le plus délicat et le plus intéressant, il y a à se prononcer sur l’authenticité, soit de morceaux considérables, soit même de discours entiers.

En général on ne se doute guère des vicissitudes par lesquelles a dû passer un texte que l’on admire par sentiment personnel ou sur la foi de la tradition. On lit, par exemple, la IVe Philippique, et on la lit avec plaisir. Sur ce fonds d’idées commun aux Philippiques : l’inertie des Athéniens, l’activité perfide de Philippe, les flatteries pernicieuses des traîtres, la nécessité de combattre le péril par tous les moyens, même par l’alliance avec la Perse, et surtout par le réveil des vertus patriotiques, se développe un discours suivi, où les grandes qualités de l’orateur, sa netteté, sa force, son âpreté mordante, captivent souvent l’intérêt. Mais voici que la critique, en y regardant de plus près, remarque à la suite des commentateurs anciens qu’un bon tiers est emprunté à la harangue sur la Chersonèse, prononcée quelques mois auparavant. Comment s’expliquer une pareille répétition, et comment croire que l’assemblée des Athéniens l’ait soufferte ? Ce n’est pas tout. Voici une contradiction flagrante avec ce qui parait être une des plus constantes préoccupations de la politique intérieure de Démosthène. Un usage démocratique qui remontait à Périclès absorbait, sous le nom de fonds théorique, pour le plaisir et le bien-être du peuple, les anciens fonds de la guerre et même une partie considérable des revenus de l’état. De là des conséquences désastreuses : le retard et l’insuffisance des armemens, la mollesse du peuple, des dangers graves pour la sécurité et pour la moralité publiques. Démosthène brava l’impopularité et peut-être même le péril attaché aux attaques contre ce funeste abus. Dès les Olynthiennes, il demandait que le théorique restituât à la guerre ce qu’il lui avait enlevé ; il revenait à la charge dans le discours sur la Chersonèse ; enfin, deux ans après la date assignée à la IVe Philippique, il réussit à faire accepter au peuple le sacrifice temporaire de ces distributions, pendant la période la plus énergique et la plus heureuse de la lutte contre Philippe, Or plusieurs pages du discours en question contiennent une