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à montrer les difficultés de la route, il montre aussi, au bout des incertitudes et des détours, un but dernier qu’il prétend atteindre. Sa critique, circonspecte et pénétrante, n’est point, en somme, négative ; il reconnaît les limites du doute, et, après avoir analysé, il vise et réussit à reconstruire.

La suite des consciencieuses notices qui précèdent chacun des discours, comme l’excellente biographie qui ouvre le premier volume, nous donne une vue générale de la politique de Démosthène, avec sa prudence et son audace, avec ses habiletés et sa souplesse, selon les circonstances, mais aussi avec son intelligente ténacité et sa grandeur. Peu à peu nous comprenons et nous apprécions sa carrière : ses commencemens pénibles, ses luttes contre les ennemis du dedans et du dehors, ses progrès dans l’opinion publique, quoiqu’un effet immédiat ne suive pas toujours chacun de ses efforts oratoires, ses jours de triomphe et ses défaites quand la fortune l’abat avec son pays ; en somme, malgré certaines ombres, l’incomparable éclat de cette gloire d’orateur et de patriote. Il y a en effet des ombres dans cette gloire et des faiblesses dans ce grand caractère. Reconnaissons-le quand il le faut, et blâmons ce qui mérite d’être blâmé ; ayons soin seulement de subordonner notre jugement à notre connaissance des faits et, jusqu’à plus ample informé, défions-nous de notre première impression. Ainsi la lecture de la Midienne nous est singulièrement gâtée quand nous savons ce qu’il est advenu de ce déploiement d’éloquence, et que l’offensé, après avoir accepté l’argent de l’offenseur, a tout simplement renoncé à débiter son discours. Que signifient donc ces peintures enflammées de l’outrage, et ces accens de haine, et ces protestations répétées qu’il n’abandonnera pas la poursuite, qu’il ne trahira pas les intérêts du peuple engagés dans la répression, qu’enfin il ne se suicidera pas lui-même par un marché indigne ? N’est-ce pas justifier d’avance le sarcasme méprisant d’Eschine sur « cet homme qui se fait de sa tête un revenu ? » Sans doute ; mais il faut savoir aussi qu’en réalité Démosthène n’aurait obtenu qu’une condamnation insignifiante ; mais son redoutable ennemi, depuis l’affront des Dionysies, avait su lui susciter de nouveaux périls, et pouvait entraver à chaque instant sa carrière ; mais précisément alors, un an déjà après le commencement de la querelle, les puissans amis de Midias, Eubule en tête, étaient prêts à aider le jeune orateur, que des considérations politiques faisaient incliner vers leur parti. Devait-il donc refuser tout accommodement, et, pour une satisfaction dérisoire, se fermer le présent et peut-être l’avenir ? Nous sommes loin de tout savoir sur les rapports de Démosthène et de Midias ; mais ce que nous savons suffit pour nous faire atténuer la rigueur de notre première sentence. Pour la prononcer en toute sécurité de conscience, il faudrait bien connaître les circonstances et les événemens ; il faudrait analyser