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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/246

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et mesurer tous ces maux dont l’atteinte inévitable se faisait alors sentir à quiconque entrait résolument dans le mouvement de la vie politique ; il faudrait en particulier savoir quel était le degré de moralité que les mœurs du temps exigeaient d’un avocat. « Le fils de l’armurier, dit Plutarque à propos du procès de Phormion et d’Apollodore, vendit aux deux parties des armes sorties du même atelier. » L’allégation peut être contestée ; mais il est certain que, même dans les discours politiques, l’avocat se fait jour bien souvent chez cet élève d’Isée, initié par son maître à tous les secrets du métier. Rien ne le fait mieux voir que le discours sur la loi de Leptine, composé quelques années avant la Midienne. Et cependant comment ne pas s’associer à l’admiration du stoïcien Panétius pour le caractère d’élévation qui domine dans ce même discours ?

Admirer en connaissance de cause, mais admirer, c’est là le principal dans ces beaux sujets où se voient en pleine activité les puissantes facultés d’un grand homme combattant pour lui-même et pour tous, dans une société malade, d’une délicatesse intellectuelle exquise et d’une profonde corruption. Combien ne faudrait-il pas regretter les études historiques de détail, si elles réussissaient à voiler la suite de ses desseins politiques, et la persistance des grandes qualités qui firent du simple conseiller d’une démocratie capricieuse le digne et redoutable adversaire d’un prince absolu, maître de mener à son gré l’exécution de ses profondes et habiles conceptions. Ces études sont indispensables ; mais elles n’ont de valeur qu’autant qu’elles se subordonnent à une intelligence générale des questions, et que, dans l’appréciation des œuvres, elles acceptent la direction supérieure du goût. La science et le goût, voilà les vrais instrumens de la critique appliquée à l’antiquité. Le goût n’a de consistance et de sûreté qu’en s’appuyant sur des connaissances exactes et précises ; mais sans lui la science ne peut rien. On est assez porté à l’oublier aujourd’hui ; après lui avoir tout donné, nous avons changé à ce point que nous ne serions pas éloignés de lui tout refuser. Supprimer le goût dans l’étude des œuvres antiques, ce serait un vrai non-sens. Peut-être est-il naturel de rappeler, à l’occasion d’un travail digne de servir d’exemple et fait dans un esprit vraiment français, que le but de la critique érudite, quand elle s’occupe d’hommes comme Démosthène, est d’éclairer et non de détruire l’admiration.


JULES GIRARD.

Le directeur-gérant, C. BULOZ,