Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fallu lui décliner ma qualité, il a été tout étonné à ce mot de Hambourg ; il m’a félicité d’être ici plutôt que là-bas. Depuis trois ou quatre mois, je ne me souciais pas de me faire annoncer chez les défuntes grandeurs : il me semblait que c’était annoncer la perte d’une bataille. Aujourd’hui il semble que je rappelle un titre de l’autre monde… » Et il ajoutait aussitôt : « Je vous dirai que, au moment où il a été question de nouvelle constitution, ma tête a étrangement fermenté. J’étais tourmenté de mes idées : pour m’en débarrasser, je les ai couchées sur le papier, et ma plume, que je n’avais touchée depuis que je ne pouvais vous écrire, courait comme jadis. Je me serais peut-être laissé aller à la tentation de mettre au jour quelque chose où, ne cherchant que la vérité, j’aurais infailliblement déplu à tout le monde ; mais on nous a si lestement improvisé une constitution que j’ai laissé là plume et papier… » Du premier coup, il sentait en lui le démon de la politique.

Qu’allait devenir De Serre dans cette inauguration de la monarchie renaissante ? Il ne le savait pas encore ; il aurait voulu être conseiller d’état ou retrouver une présidence dans une cour française. On ne se hâtait pas dans ce premier moment de 1814 ; on ajournait De Serre à une organisation judiciaire, on lui proposait même des fonctions inférieures à celles qu’il avait occupées. Il ne s’en offensait pas, et surtout les sentimens monarchiques qui avaient repris en lui toute leur force n’en étaient point refroidis. Il y avait seulement des heures où, un peu dégoûté, il parlait de « revenir à son sac, » c’est-à-dire à son métier d’avocat, — « et peut-être, quand j’y serai, ajoutait-il, je remercierai ceux qui n’auront rien fait pour moi. Le premier moment sera dur : Dieu soit loué ! J’ai encore des forces et du courage, et ce n’est pas la première fois que je me mesurerai contre ma mauvaise fortune. Toutes ces pensées ne m’empêchent pas de me tenir sur la ligne où je me trouve placé ; mais descendre, devenir avocat-général en province, comme on paraît me l’indiquer,… je pense que la liberté de la parole et de la plume vaut mieux. » Il parlait gracieusement de ses mécomptes à sa jeune femme, qu’il avait envoyée à Spa pour sa santé : « Malgré ton goût décidé pour les champs, les bruyères ne trouvent pas grâce devant tes yeux. Les bruyères d’Ardennes auraient dû cependant faire exception auprès d’une demi-Ardennaise. Qu’y veux-tu ? ma chère petite, il y a toujours quelques bruyères à traverser dans la vie ; celles des sollicitations sont, je t’assure, pires que celles d’Ardennes. Ah ! si je pouvais les éviter, je consentirais à parcourir à pied toutes celles de France et d’Allemagne… »

On avait fini, après bien des tâtonnemens, des gaucheries et des méprises d’un règne enivré et étonné de lui-même, par appeler