écrivant sans cesse à sa mère, tant que les communications étaient ouvertes, et faisant de ses lettres une sorte de journal de ses impressions. « toute la garde part d’ici (24 janvier), et l’empereur doit bientôt suivre. Comme l’ennemi s’avance par Langres et Chaumont, il ne peut tarder beaucoup à se passer des événemens décisifs. Dieu bénisse cette fois nos armes ! Espérons mieux dans l’avenir ! .. Nous sommes au moment où il faut redoubler de courage et de résignation… — Il arrive ici (1er février) des fugitifs de tous côtés ; d’autres personnes partent de Paris, alarmées de ce qu’on fortifie les barrières ; j’y attendrai sans aucune crainte… Je vous le dis, après les ténèbres vient la lumière, quand même on ne prévoirait pas de quel côté ! .. — On nous avait donné (6 février) de bien mauvaises nouvelles. Je les crois fort exagérées ; mais la position est toujours bien difficile, et l’orage s’approche : il faudra des prodiges pour le détourner… Depuis quelques jours, j’ai le cœur plus triste que de coutume. Vous savez comme j’ai toujours aimé mon pays ; ses malheurs pèsent sur moi… Mes livres me sont parfois une ressource… »
A mesure que les événemens se rapprochaient et s’aggravaient, De Serre sentait plus vivement le poids de cette crise tragique dont il ne pouvait prévoir le dénoûment. Il ne distinguait pas, selon son expression, comment la France serait tirée de cet abîme, lorsque tout à coup les dernières péripéties, l’abdication de Fontainebleau, la restauration royale, l’arrivée du comte d’Artois à Paris, rouvraient devant ses yeux un horizon inattendu, en le ramenant, comme il le disait, aux premiers sentimens de sa jeunesse. Lié à l’empire par des fonctions supérieures, il avait trop d’honneur pour devancer sa chute par la défection ; il était aussi trop éclairé pour n’avoir point aperçu les fatalités que Napoléon se créait à lui-même par ses excès de génie, par son système de guerres démesurées, et la restauration des Bourbons sortant de la catastrophe de l’empire comme un moyen de salut pour la France, cette restauration était tout ce qui pouvait le mieux répondre à ses instincts, à ses vœux. Il l’écrivait dès le 14 avril à sa mère : « Vous savez quels grands événemens se sont passés depuis quinze jours. Ils nous remplissent d’espérance pour l’avenir. Le comte d’Artois est arrivé avant-hier, il a été reçu à merveille. Je l’ai parfaitement reconnu, et avec une satisfaction que vous imaginerez. Depuis longtemps ces premiers sentimens reprenaient en moi une force extraordinaire, et c’est un grand bonheur de pouvoir librement les manifester… » Cinq jours après, il disait en homme qui n’entendait ni humilier ni déguiser son passé : « J’ai vu deux fois le comte d’Escars, capitaine des gardes du comte d’Artois. J’ai été présenté à ce dernier. Quand il a