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pour les finances. Bientôt la presse à son tour allait avoir son code plus libéral.

Pour pouvoir suivre cette politique modérée, les ministères devaient nécessairement s’appuyer sur des modérés, sur ce qu’on appelait dès lors les deux centres, — ces éternels frères ennemis ; mais avec cette politique de modération, dont la seule condition de succès était dans une alliance toujours fragile et incertaine, ils avaient affaire aux susceptibilités, aux dissidences, aux oppositions extrêmes. S’ils semblaient incliner vers les libéraux, les royalistes les représentaient comme des révolutionnaires frayant la route aux jacobins, conduisant encore une fois la monarchie à l’abîme ; les « ultras, » dans leurs emportemens, les traitaient comme des démagogues et au besoin se servaient contre eux des démagogues ; S’ils cherchaient à désarmer les royalistes par des concessions, ils étaient menacés d’être abandonnés par les libéraux, même par les doctrinaires. Ils marchaient entre deux feux, entre des partis également ombrageux, également exigeans, obligés à chaque pas de défendre cette politique qu’on flétrissait du nom de « bascule, » et que Louis XVIII relevait en disant : « J’ai embrassé un système de modération non point par paresse, mais par raison, pour empêcher la France de se déchirer de ses propres mains. » Au moindre incident, tout semblait remis en doute, et la loi électorale qui fixait le renouvellement annuel de la chambre par cinquième, cette loi surtout était à peine votée et appliquée une première fois que déjà les conflits éclataient.

C’est au milieu de ce drame des opinions et des passions, au plus épais de cette mêlée ardente que De Serre s’était trouvé engagé dès 1815 et qu’il apparaissait bientôt comme un des plus vigoureux athlètes de la politique constitutionnelle. Élu de l’Alsace, il arrivait à la chambre en homme qui se sentait attaché par ses fibres les plus intimes à la monarchie renaissante, mais qui en même temps appartenait à la France nouvelle, et, à peine entré dans la vie parlementaire, il avait sa place naturelle dans la minorité modérée, parmi ces hommes qui, adossés pour ainsi dire à la charte, étaient décidés à tenir tête aux fureurs de réaction. Sans avoir d’illusions sur les difficultés de la situation, il se jetait courageusement, corps et âme, dans la lutte, écrivant à sa femme dès les premiers momens : « La position est difficile, raison de plus d’avoir du courage. Il n’est point d’ailleurs question de partage, de déchirement. Nous faisons des pertes sensibles, nous subissons des conditions dures ; mais enfin nous existons.., Là-dessus il faut t’unir à moi de sentimens. Dis-toi bien que l’homme qui ne sait pas fortement aimer son pays n’aimera pas davantage femme, enfans, amis, parens, car