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c’est avec le même cœur qu’on aime tout cela… » Il réunissait tout en effet dans son âme ardente, et c’était un de ces hommes qui une fois engagés ne se reposent plus, qui sentent leurs facultés se multiplier et grandir par l’action, par la contradiction. Placé en présence de ces partis de 1815, de cette première chambre aux passions violentes et ombrageuses, il n’hésitait point un instant : il acceptait, il prenait ce « rôle de modérateur » que le patriotisme lui conseillait, qu’il était de force à soutenir par la puissance du talent.

Lorsqu’on proposait d’étendre les proscriptions, de mettre partout dans les lois la peine de mort, la rétroactivité, De Serre s’élevait contre ces excès, qui ne faisaient, disait-il, que rendre les mœurs plus féroces, « contre des actes dictés par la passion. » Au risque de soulever des murmures et de provoquer même des rappels à l’ordre, il se servait avec habileté de la prérogative royale pour arrêter au passage des amendemens qui aggravaient les mesures proposées par le gouvernement. — Lorsque, sous le nom d’indemnité au profit de l’état, on tentait d’ajouter, par voie rétroactive, la confiscation à des peines prononcées contre des condamnés politiques, il s’écriait : « Les révolutionnaires en ont fait ainsi, dites-vous, ils en feraient encore ainsi s’ils ressaisissaient la puissance. C’est précisément parce qu’ils l’ont fait que vous ne devez pas imiter leur odieux exemple, et cela par un sens torturé d’une expression qui n’est pas franche, par un artifice qui serait tout au plus digne du théâtre… Messieurs, notre trésor peut être pauvre, mais qu’il soit pur ! .. » — Lorsque, dans une pensée de vaine réaction contre tout ce qui venait de la révolution et sous prétexte de nécessité, on proposait tout simplement la banqueroute de l’état envers les créanciers de l’arriéré, De Serre condensait dans un mouvement d’éloquence une idée profonde : « L’injustice du passé vous révolte, disait-il, ce sentiment est louable ; mais si les siècles pouvaient se rapprocher devant nous, si, dépouillée de la mousse des temps, la racine de tous les droits pouvait se découvrir à nos yeux, pensez-vous que les droits les plus respectés aujourd’hui nous apparaîtraient purs de toute violence, de toute usurpation, de toute injustice ? Eh bien ! messieurs, celui qui n’a pas compris que la révolution renferme plusieurs siècles en elle, celui qui n’a pas senti que la volonté du roi, la charte qu’il nous a donnée, avait reculé dans le temps tous les actes antérieurs, cet homme n’a point élevé ses pensées assez haut pour concourir à donner des lois à la France actuelle… » On sentait dans ces hardies et fortes images sur la condensation des temps l’esprit qui avait fréquenté l’Allemagne, qui appliquait à l’histoire et à la politique une philosophie supérieure dont bien d’autres ont hérité depuis en la reproduisant.