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pris la peine de réunir, dans les recueils de lois romaines, ce qui est l’œuvre personnelle d’Hadrien ; il a contrôlé et complété les récits des historiens par le témoignage des inscriptions et des médailles, et de cette manière il a mis au grand jour les services de tout genre qu’Hadrien a rendus à l’empire. Ces services sont éclatans et incontestables. Il a donné d’abord à ses états la sécurité extérieure ; pour maintenir la discipline des armées, il a fait des règlemens si sages qu’on n’éprouva plus le besoin d’y rien changer et qu’ils durèrent autant que la domination romaine. Il a fortifié les frontières en les garnissant de troupes, en les munissant de retranchemens formidables, et de cette façon il a fermé la porte aux barbares, qui devenaient tous les jours plus menaçans. Sous cette ceinture de murailles, de places fortes, de fossés profonds et de camps retranchés, habilement disposés le long de ces frontières immenses, l’empire put respirer en paix. A l’intérieur, la tranquillité fut maintenue d’une main ferme, les abus réformés, la législation adoucie, un grand élan donné partout aux travaux publics. Sous cette impulsion vigoureuse et grâce à la paix dont jouissait l’univers, les villes purent s’embellir de monumens magnifiques qui excitent encore aujourd’hui notre admiration. Voilà ce qu’il n’est pas possible de nier, Hadrien fut certainement un des administrateurs les plus habiles qui aient gouverné le monde depuis Auguste, et il contribua peut-être plus que personne à ce développement incroyable de la prospérité publique qui fit du siècle des Antonins l’une des époques les plus heureuses de l’humanité. « Quand la gloire des princes, dit M. Duruy, se mesurera au bonheur qu’ils ont donné à leurs peuples, Hadrien sera le premier des empereurs romains. »

Comment se fait-il donc qu’ayant si bien servi l’empire il ait été souvent si mal jugé ? On explique d’ordinaire ces sévérités de l’opinion en rappelant la mauvaise humeur persistante des grandes familles et du sénat contre le régime impérial ; mais c’est vraiment un moyen trop commode de justifier toutes les rigueurs des césars, et, si ces raisons peuvent servir encore pour l’époque de Tibère ou de Néron, je crois qu’il n’est plus possible de les employer quand on est arrivé aux Antonins. L’empire était alors accepté de tout le monde. Le temps avait affaibli les vieilles rancunes républicaines, et, dans tous les cas, on ne comprendrait guère pour quel motif, après avoir respecté Trajan, elles se seraient ranimées contre Hadrien. Si Hadrien, avec toutes ses grandes qualités, ne sut pas se faire mieux aimer, il faut penser que c’était sa faute, et qu’il y avait dans sa personne et dans son caractère quelque chose qui éloignait de lui les cœurs. C’est ce que Fronton, qui était un assez méchant écrivain, mais un fort honnête homme et le plus soumis des sujets, laissait entendre plus tard à Marc-Aurèle, avec toute sorte