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à l’heure[1]. A la vérité, ces permissions étaient réservées pour les fonctionnaires ou les courriers de l’état. On est assez surpris que l’idée ne soit pas venue, chez ce peuple pratique, qui saisissait si vite l’utilité des choses, d’autoriser les particuliers à profiter, moyennant une rétribution, de la poste officielle, ce qui aurait rendu les communications plus rapides et relié plus intimement entre elles les diverses parties de l’empire ; mais il est probable que l’autorité tenait à son privilège, et qu’on fut arrêté par la crainte de diminuer ses prérogatives. Au défaut de la poste, les particuliers fournissaient à ceux qui le souhaitaient des moyens assez commodes de voyager. A la porte des villes, près des hôtelleries qui portaient pour enseignes, comme aujourd’hui, un coq, un aigle ou une grue, et qui essayaient d’attirer les passans par toute sorte de promesses engageantes, il était aisé de trouver des voitures de louage de toute espèce, de se pourvoir d’un cheval ou d’un mulet, en s’adressant à ces riches associations (collegia jumentariorum) qui en avaient toujours à la disposition du public. Avec ces chevaux et ces voitures on pouvait aller vite, si l’on y tenait. Suétone nous apprend que César parcourut ainsi jusqu’à 100 milles (150 kilomètres) par jour. Mais d’ordinaire on n’était pas si pressé : on allait à petites journées, en s’arrêtant aux bons endroits ; on se reposait quand on était fatigué, et l’on admirait la nature à son aise. C’était encore la façon dont les touristes parcouraient l’Italie il y a quelques années ; beaucoup pensent qu’il n’y en a pas de plus agréable et regrettent qu’on y ait renoncé.

Les raisons de voyager ne manquaient pas au premier siècle de l’empire. Beaucoup de ces gens qu’on rencontrait sur les grandes routes étaient des fonctionnaires qui allaient administrer des provinces lointaines. Rome avait conquis le monde, il lui fallait bien le gouverner. Elle envoyait partout ses proconsuls et ses propréteurs, qui emmenaient avec eux leurs lieutenans, leurs questeurs, leurs secrétaires, leurs appariteurs, leurs affranchis et leurs esclaves, tout un monde, qui souvent s’en allait vivre aux dépens des provinciaux. A la suite du gouverneur romain, quelquefois avant lui, partaient les fermiers de l’impôt public, avec leurs scribes et leurs suppôts, et ces négocians qui s’entendaient si bien à exploiter les

  1. Le voyage d’Antioche à Constantinople, séparées l’une de l’autre par une distance de 740 milles, c’est-à-dire de plus de 1,100 kilomètres, pouvait se faire par la poste impériale en moins de six jours. Je renvoie, pour tous ces détails, à l’Histoire des mœurs romaines d’Auguste aux Antonins, par M. Friedlœnder, que M. Vogel a traduite en français. Cet excellent ouvrage, plein de faits curieux habilement présentés, contient tout un long chapitre sur les voyages chez les Romains. On y trouvera tous les détails que je ne puis donner ici.