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besoins, et il était rare que son passage ne fût pas marqué par la construction de ponts, de routes, d’aqueducs qu’il avait reconnus nécessaires. Comme il aimait aussi beaucoup la magnificence, il ne négligeait pas les monumens qui ne servent qu’à la décoration d’un grand pays. Il réparait les théâtres, les basiliques, il faisait rebâtir les anciens temples et en construisait de nouveaux. Aussi laissait-il toujours les provinces pleines d’admiration et de reconnaissance pour lui. Nous avons conservé les médailles qu’elles frappèrent à l’occasion de ces visites impériales : elles appellent Hadrien le restaurateur, le bienfaiteur, le bon génie des cités qu’il avait traversées, et lui décernent d’avance l’apothéose à laquelle, après sa mort il ne pouvait pas échapper. Quand il arrivait aux frontières de l’empire, naturellement il redoublait de soin et de vigilance. Rien n’était oublié ; il voyait si les châteaux-forts, les fossés, les retranchemens, étaient en bon état, il écoutait les officiers, consultait les ingénieurs, inspectait les légions, les faisait manœuvrer devant lui, et, s’il était satisfait des manœuvres, il leur adressait un de ces ordres du jour oratoires dont il nous reste un si curieux exemple dans les inscriptions de la troisième légion, à Lambæse. Mais Hadrien ne voyageait pas seulement pour être utile à l’empire ; il songeait aussi à lui-même. Cet administrateur zélé était en même temps un curieux, un savant, un lettré, Lorsque la ville où il arrivait était une de celles qui conservent de beaux monumens du passé, il y restait plus volontiers, il lui témoignait plus de bienveillance, il cherchait les occasions d’y revenir. Le séjour d’Athènes le ravissait ; nulle part il ne s’est trouvé si heureux ; il n’y a pas de ville qu’il ait plus comblée de bienfaits et où il ait bâti plus de monumens. Sa curiosité n’oubliait aucun des lieux qui rappelaient de grands souvenirs. Il fit lui aussi son pèlerinage à Troie, et y rétablit le mausolée d’Ajax, auquel il rendit de grands honneurs. Il alla voir, à Mantinée, la tombe où reposait Épaminondas, et composa pour le héros thébain une inscription pleine d’enthousiasme. En Égypte, il présida l’assemblée des savans dans le Musée et se plut à les embarrasser de ses questions captieuses ; il alla voir les Pyramides, le colosse de Memnon, et probablement aussi toutes les autres merveilles du temps des Pharaons. Il ne se croyait pas obligé, dans ces visites, de garder cet air froid et gourmé que les vieux Romains avaient soin de prendre, quand ils étaient hors de chez eux, pour paraître plus graves et plus dignes. Il parlait la langue des nations dont il était l’hôte, revêtait leur costume et ne dédaignait pas leurs usages. Il tenait sans doute que, pour goûter pleinement un pays et comprendre un peuple, il faut entrer dans ses mœurs et se faire au besoin un de ses concitoyens. Il voulut être initié à Eleusis ; à Athènes, il présida les fêtes de Bacchus en costume