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personnages, qui aspiraient aux fonctions publiques, étaient bien forcés de s’y établir pour être toujours sous les yeux de leurs électeurs. Ils y furent suivis par les petits propriétaires de la campagne romaine, quand la misère les eut obligés de vendre leur champ à leurs envahissans voisins. Puis arrivèrent, après les autres, les travailleurs libres qu’on ne voulait plus employer qu’aux travaux pénibles et dangereux, où le riche craignait de compromettre son esclave. Ces pauvres gens finirent par être las de la rude existence à laquelle on les condamnait, et, comme ils savaient que dans la ville ils seraient amusés et nourris aux frais du trésor, ils s’empressèrent d’y émigrer. Une fois qu’ils avaient reçu leur tessère de blé ou d’huile dans les distributions publiques ou leur sportule à la porte des riches, quand ils avaient pris l’habitude d’assister à ces spectacles de toute sorte qui remplissaient le tiers de l’année, il n’y avait plus aucun moyen de les renvoyer aux champs. Les gens sensés s’indignaient de voir grossir sans cesse cette population de fainéans dont on ne pouvait pas tirer un soldat au moment des dangers publics. Varron se plaint avec éloquence que les campagnes soient dépeuplées depuis que les laboureurs se sont glissés dans la ville l’un après l’autre et que « ces fortes mains qui travaillaient la terre ne sont plus occupées qu’à applaudir au théâtre ou au cirque. » Mais ces plaintes honnêtes n’étaient pas écoutées ; l’élan une fois donné ne s’arrêta plus. Dès l’époque d’Auguste, la grande ville avait fait le vide autour d’elle. La campagne n’était plus remplie que de vastes pâturages ou de maisons de plaisance, et les vieilles cités du Latium ou du pays sabin, qui avaient si longtemps arrêté la fortune de Rome, tombaient en ruines.

Le séjour de Rome devait être assurément fort agréable ; on y trouvait en abondance des distractions et des plaisirs de tout genre accommodés à tous les goûts et à toutes les fortunes. Cependant elle ne put pas échapper à la condition ordinaire des grandes villes. La vie ardente qu’on y mène entraîne à la longue une insupportable fatigue. La tension perpétuelle à laquelle l’esprit est condamné l’épuisé ; le bruit étourdit ; le tourbillon d’affaires où on est jeté donne le vertige ; on a peine à supporter cette agitation générale dont le spectacle avait d’abord réjoui les yeux ; autant on était heureux d’être arraché à soi-même par le mouvement extérieur, autant on désire avec passion rentrer en possession de soi et s’appartenir un moment. Les plus futiles, les plus mondains, éprouvent des besoins étranges de solitude et de repos et cherchent à les satisfaire. Milton a décrit en beaux vers la joie d’un de ces prisonniers qui secoue un jour sa chaîne et s’enfuit aux champs un matin d’été. Jamais les prairies ne lui semblèrent si vertes ni le ciel si pur. Il