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très ridicules et très ultras ; un M. de X., qu’on a fait maréchal de camp et qui n’a pas quitté sa campagne, en Lorraine depuis trente ans ni essuyé un seul des coups de fusil tirés par millions depuis ; un M. de Z., grosse masse, avec un énorme ventre descendant sur ses genoux, qui a dit et répété qu’ils espéraient bien que je ne serais pas nommé, et qu’ils en riraient de bon cœur, que dans l’Ouest et le Midi, ils s’entendraient pour ne faire nommer que des jacobins… Au milieu de tout cela, je crois, avec les personnes influentes du pays, à mon élection, même à une majorité notable…. Dieu, fasse que cela ne m’amène pas à être témoin et en quelque sorte complice de notre ruine. Qui s’imaginera jamais que le même ministère a proposé la loi sur les élections, cette loi dont l’énergie m’a effrayé moi-même, et ensuite signé le concordat ! »

De Serre l’emportait grandement en effet au scrutin, et Royer-Collard, dans un mouvement de joie, se hâtait de lui écrire : « Il n’y a pas de circonstance où votre réélection ne fût un événement important ; aujourd’hui elle était presque une condition de l’existence : jugez de notre joie…, Revenez bien vite,… revenez, nous nous aiderons ! .. Vous savez avec quelle impatience nos amis vous attendent, et la mienne surpasse la leur. Vous trouverez le ministère dans une position fausse et dangereuse ; j’aime à espérer que vous serez assez puissant, pour l’en retirer. » Peu de jours après, Louis XVIII lui-même, recevant De Serre en audience particulière et le voyant en costume de député, lui disait avec empressement : « Je suis bien aise de vous voir avec ce costume-là. J’ai eu peur, vraiment peur, j’avais bien recommandé de tout faire pour vous ravoir. J’en suis d’autant plus aise que j’espère que vous serez sur la liste des cinq. » Les cinq, c’étaient les candidats à la présidence pour la session qui allait s’ouvrir. De Serre fut en effet nommé président pour cette session nouvelle comme il l’avait été dans la précédente session, où il avait eu l’occasion de déployer la supériorité d’un magistrat parlementaire.

Tout se réunissait ainsi pour confirmer cette fortune grandissante qui se confondait avec celle de la France constitutionnelle. De Serre avait alors un peu plus de quarante ans ; il était dans l’éclat d’une position publique conquise par le talent et par le caractère. Dans le parlement, il était, un des premiers, sinon le premier ; il pouvait passer pour le leader de l’alliance des opinions modérées, et s’il se mêlait moins activement aux luttes de tribune, c’est qu’il avait la mission de les présider. Avec les principaux, ministres, M. Lainé, M. Pasquier et bientôt avec M. Decazes lui-même, il avait des habitudes d’intimité fondées sur une libre confiance ; il se réservait les droits d’une franchise entière, même, selon son expression,